Tous ces médicaments sont-ils bien utilisés et payés à leur juste prix ? (photo © GPouzin)

Comme dans l’affaire Carmat, on comprend ici l’enjeu des manipulations scientifiques pour les financiers qui les orchestrent, au détriment des publics trompés, qu’il s’agisse des administrations, des patients ou des épargnants à qui ils veulent refourguer les actions de leurs start-ups le plus cher possible, avant qu’elles ne s’écroulent sous le poids de leur réalité peu flatteuse. (photo © GPouzin)

Affaire SangCya : le médicament dont le Dr Philippe Pouletty a obtenu l’autorisation de la FDA avec des allégations bancales avant d’essuyer un retrait d’agrément de la FDA.

En résumé :

  • Avant de devenir le cerveau du fabricant de cœurs artificiels Carmat et associé gérant du fonds Truffle Capital, le Dr Philippe Pouletty s’était fait remarquer aux Etats-Unis dans une affaire de médicament prétendument innovant, le SangCya (affaire déjà évoquée par Deontofi.com ici).
  • Il y a vingt ans, le Dr Philippe Pouletty dirigeait déjà une start-up biotechnologique (SangStat) affichant l’ambition de créer un remède révolutionnaire (SangCya) au marché prometteur (les transplantations d’organes), comme il en a créé tant en France qui se sont écroulées par la suite.
  • En fait de remède innovant, sa start-up SangCya tentait d’obtenir une autorisation de commercialisation d’un médicament vaguement équivalent à celui d’un concurrent, sans réelle innovation prouvable.
  • Connu pour son talent à vendre des vessies pour des lanternes, le Docteur Philippe Pouletty et son équipe ont embrouillé l’autorité sanitaire américaine pendant deux ans pour obtenir une autorisation de commercialisation de son médicament à l’arraché.
  • Dix-huit mois après son autorisation de commercialisation, obtenue dans les conditions rocambolesques ci-dessous, le médoc en toc du Dr Philippe Pouletty est retiré du marché.

Mise à jour du 13 mai 2016 :

La communication outrancière de Carmat stigmatisée par son revers judiciaire.

Dommage pour ceux qui voudraient croire aux louables intentions des boniments de Philippe Pouletty, cerveau de Carmat et gérant associé du fonds Truffle Capital, présidé par Henri Moulard, ex-banquier-assureur déchu mais très infiltré dans les confréries institutionnelles. Sa récente défaite judiciaire contre l’émission Envoyé Spécial, diffusée sur France 2 le 11 septembre 2014, confirme ses méthodes douteuses pour manipuler l’information scientifique et financière autour de ce formidable projet de recherche cardiaque, malheureusement détourné au détriment des épargnants floués et d’un public trompé.
Cette défaite judiciaire redonne toute son actualité au décryptage des manœuvres de Philippe Pouletty pour obtenir à l’arraché l’autorisation de mise sur le marché d’un médoc en toc, interdit deux ans plus tard.
Deontofi.com reviendra sur le jugement du 29 mars 2016 déboutant le Dr Philippe Pouletty de ses poursuite en diffamation infondées contre les révélations de ses embrouilles par l’émission Envoyé Spécial du 11/09/2014.

La chronologie de ce fiasco éclaire le public sur les manœuvres et embrouilles du Dr Philippe Pouletty.

Le 21 novembre 1996, le docteur Philippe Pouletty, alors président de la société SangStat, qu’il a fondée en 1989 et introduite à la Bourse du Nasdaq en 1993, soumet officiellement sa première demande d’autorisation du médicament générique SangCya à la Food and Drug Administration (FDA), l’autorité sanitaire américaine, pour solliciter une autorisation de mise sur le marché. Ce concurrent du médicament Neoral, du laboratoire suisse Novartis, est présenté comme une « microémulsion pour solution buvable de Cyclosporine », terme désignant la molécule active de ce traitement, que les patients ayant subit une transplantation d’organe doivent prendre quotidiennement pour prévenir les risques de rejet de greffe. Le marché potentiel serait immense, un peu comme il le proclame vingt ans plus tard pour son projet de cœur artificiel Carmat.

Le Dr Pouletty affirme que les études de bioéquivalence comparant SangCya au médicament de référence « ont démontré un intervalle de confiance de 90% », en faisant co-signer son courrier par Hana Berger Moran, sa responsable des affaires réglementaires et de l’assurance qualité, qui sera sa porte-parole et représentante dans la suite de cette procédure.

Source : courrier du 21 novembre 1996 de mr Pouletty à mr Douglas Sporn, director, Office of Generic Drugs (OGD), center for drug evaluation and research, de la Food and Drug Administration. (FDA p.21-22). Les échanges entre la FDA et SangStat sont en libre accès sur le site de la FDA à l’adresse : http://www.accessdata.fda.gov/drugsatfda_docs/anda/98/64-195_corres.PDF
et : http://www.accessdata.fda.gov/drugsatfda_docs/appletter/1998/64195ltr.pdf

Le 11 avril 1997 (FDA p.23), la FDA répond via son bureau des médicaments génériques, l’OGD (Office of Generic Drugs). Selon l’autorité sanitaire américaine « la demande n’inclut aucune donnée pour démontrer que la méthodologie analytique utilisée pour la diffusion et la stabilité (du médicament) résoudra les impuretés connues de la Cyclosporine ».

Le 20 mai 1997 (FDA p.3), la FDA ajoute dans un autre commentaire « On ne comprend pas exactement comment les courbes standard ont été calculées (…). Fournissez un exemple de calcul d’une courbe standard typique en partant des données brutes ».

Le 22 août 1997, dans sa réponse à la FDA, SangStat avoue son incompétence à répondre aux demandes de l’autorité sanitaire. La start-up du Dr Pouletty se dit « incapable à ce moment d’obtenir la description la plus récemment approuvée pour le produit innovant » mais s’engage à soumettre une modification à sa demande d’autorisation dès qu’elle pourra envoyer à la FDA les précisions requises.

Le 4 février 1998, la FDA transmet à SangStat de nouveaux commentaires. L’autorité américaine des médicaments relève des déficiences concernant la description chimique fournie par la start-up du Dr Pouletty dans sa nouvelle demande d’autorisation du 29 août 1997.

Le 3 mars 1998, SangStat répond à la FDA en « modifiant sa demande pour respecter tous les problèmes soulevés » par la FDA et en modifiant le contenu de l’avertissement « Prudence : » rédigé sur la notice du médicament.

Le 14 avril 1998, la FDA écrit à SangStat. Selon l’autorité américaine du médicament « les déficiences suivantes ont été identifiées sur la base de l’étude chimique de leur demande d’autorisation du 3 mars 1998 : ».

On y lit notamment : « La liste des spécifications de stabilité et des spécifications d’absorption que vous avez fournies sont déficientes comme suit : (…) Merci de resoumettre ces spécifications d’essais pour l’absorption et la stabilité du produit. (…) Les limites d’impureté ont été effacées dans les spécifications de stabilité » Un peu comme si l’on pouvait soupçonner les études d’avoir été altérées pour bidonner les résultats. On repense rétroactivement aux tours de passe-passe et dissimulations dans la communication scientifique autour de Carmat. « Les données sur la taille des particules ne sont pas fournies pour un échantillon mélangé avec de l’eau après l’achèvement de l’étude de stabilité. Merci de fournir ces données ».

Le 12 mai 1998, suite aux remarques de la FDA du 14 avril 1998 et à une conversation du 7 mai 1998 avec mr John Harrison, Supervisory Chemist de l’OGD, SangStat répond à la FDA en « modifiant sa demande pour respecter tous les problèmes soulevés » par la FDA, à son habitude.

Le 23 juin 1998, la FDA écrit pourtant une nouvelle fois à SangStat, à propos de sa « solution buvable de Cyclosporine », que « les déficiences suivantes ont été identifiées sur la base de la description chimique de votre demande d’autorisation du 12 mai 1998 ». Une nouvelle fois, la FDA rappelle « Merci de fournir les résultats calculés en testant le produit innovant conformément à la méthodologie et aux méthodes de reporting décrites (…). Ces résultats devraient être fournis avec les résultats des analyses du produit de SangStat pour une comparaison côte-à-côte. Merci de resoumettre les spécifications de stabilité et d’absorption pour les densités et la spécification d’absorption pour le volume livrable ».

La FDA demande par ailleurs à SangStat le même jour une « révision du texte dans l’encadré PRECAUTIONS » requérant d’indiquer « La solution buvable de Cyclosporine pour microémulsion / solution buvable de Cyclosporine pour microdispersion et solution buvable de Cyclosporine ne sont pas bioéquivalentes… ».

Le 30 juin 1998, après une conversation avec le docteur Jacqueline White, de la Division of Labeling de la FDA, SangStat répond aux remarques du 23 juin de la FDA, dont elle juge la remarque « confusing ». La société du Dr Pouletty ajoute qu’elle « aimerait recommander l’adoption » de la phrase suivante : « Les solutions buvable de Cyclosporine pour microémulsion / solution buvable de Cyclosporine pour microdispersion sont bioéquivalentes, cependant elles ne sont pas bioéquivalentes à la solution buvable de Cyclosporine et ne peuvent pas être utilisés… ».

Quant à la liste des ingrédients inactifs que la FDA demande à SangStat de préciser sur la notice du médicament, la société du Dr Pouletty répond, comme il aime le dire, « il est impératif pour SangStat de conserver l’identité et les proportions des ingrédients inactifs du SangCya comme un secret de fabrique. (…) Il n’y a pas d’ingrédients inactifs dans le produit de SangStat qui devraient ou pourraient poser un problème de santé publique ». On relève ici la méthode éculée des manipulateurs en affaires pour dissimuler leurs manœuvres en prétextant que la transparence requise à leur compréhension porte atteinte au secret des affaires.

Pour la énième fois, SangStat répond aux remarques de la FDA en « modifiant sa demande pour respecter tous les problèmes soulevés », à son habitude.

Le 31 août 1998, la FDA demande à nouveau à SangStat de fournir des documents manquants au regard de la douzaine de modifications déposées au sujet des déficiences de la demande initiale d’autorisation de médicament faite par le Dr Pouletty.

Le 3 novembre 1998, à force d’obstination dans ses réponses évasives et après une douzaine de modifications de «sa demande pour respecter tous les problèmes soulevés », le Dr Pouletty se félicite d’avoir pu obtenir une autorisation de la FDA pour son médicament, en reconnaissant lui-même « nous avons dû faire face à un nombre d’obstacles ».

David Buck, un analyste financier de la société Sands Brothers, à New York, confirme que « l’autorisation de la FDA était attendue et plutôt en retard » en rappelant l’enjeu pour le Dr Pouletty puisque l’analyste financier ajoute « elle représente la première grosse opportunité de revenus pour SangStat ».

Comme dans l’affaire Carmat, on comprend ici l’enjeu des manipulations scientifiques pour les financiers qui les orchestrent, au détriment des publics trompés, qu’il s’agisse des administrations, des patients ou des épargnants à qui ils veulent refourguer les actions de leurs start-ups le plus cher possible, avant qu’elles ne s’écroulent sous le poids de leur réalité peu flatteuse.

Méfiants, « les analystes disent que le monde de la transplantation ne prendra pas l’arrivée d’un nouveau médicament à la légère ». Viren Mehta, analyste financier, prévient pourtant que « les médecins voudront avoir assez de recul et de pédagogie avant de faire changer de médicament à leurs patients ».

Qu’importe les méthodes de l’ineffable Dr Philippe Pouletty pour parvenir à ses fins : ce jour-là SangStat s’envole de 87,5% à la Bourse du Nasdaq.

Sources : articles du 3 novembre 1998 du SFGate et de Laurence Fisher dans le NYT.

Web : http://articles.sfgate.com/1998-11-03/business/17737507_1_neoral-sangcya-sangstat-ceo-philippe-pouletty

En février 1999, Novartis poursuit en justice SangStat pour violation de ses brevets, mais, ce qui est plus inquiétant, le laboratoire suisse poursuit aussi en justice la FDA pour avoir enfreint ses propres règlements dans la procédure d’autorisation du SangCya. « Il ne s’agit pas de nous défendre contre la concurrence des génériques, mais davantage de savoir comment la procédure de la FDA fonctionne pour autoriser un médicament générique », explique Wayne Yetter, le PDG de Novartis.

« Le résultat de l’autorisation de la FDA est que les patients transplantés peuvent se voir donner un dosage différent de cyclosporine par le pharmacien qui les approvisionne sans la connaissance ni la supervision de leur médecin », précisait Kenneth Somberg, directeur exécutif des affaires médicales de Novartis.

Source : article du 28 février 1999 dans Transplant News. Web : http://www.allbusiness.com/health-care-social-assistance/ambulatory-health-services/158115-1.html

Le 10 juillet 2000, la FDA annonçait officiellement que le SangCya était retiré une première fois de la vente, alertant les professionnels de santé du dispositif mis en place, notamment que « pour la transition ordonnée des patients vers d’autres produits, le rappel est limité au niveau des grossistes et n’est pas étendu aux pharmacies et aux patients ». La FDA précisant même que « une étude sur des volontaires sains a identifié que le SangCya n’est pas bioéquivalent au Neoral quand il est mélangé avec du jus de pomme comme il est recommandé dans sa notice ». Source : communiqué de la FDA et courrier de la FDA du 10 juillet 2000 aux professionnels de santé.

Et voilà comment, avec une belle embrouille, une start-up du Dr Philippe Pouletty est parvenue à arracher une autorisation de commercialisation d’un médoc en toc resté sur le marché juste assez longtemps pour que la flambée de ses actions lui permettent de tirer les marrons du feu. Une bonne leçon pour ceux qui ont voulu croire à ses histoires, car il n’a pas fini d’en raconter.

Sauf que, depuis cette mésaventure, échaudé par les risques auxquels s’exposent les auteurs de manœuvres financières aux Etats-Unis, le Dr Philippe Pouletty refourgue ses start-ups aux souscripteurs des FCPI de Truffle Capital et ses réseaux associés (Aviva Union Financière de France, Crédit Mutuel Arkea Fédéral Finance) et bien sûr aux pigeons d’Alternext.

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Un commentaire

  1. In cauda venenum, le

    Bonsoir,

    Vous semblez très bien informé. En tout cas intéressantes informations qui ne m’étonnent pas vraiment.
    Dans une autre vie j’ai très bien connu Philippe Pouletty de Clonatec à Sangstat en passant pas Stanford…

    Très content de ce retour de bâton car au-delà de la séduction intellectuelle et des fausses amitiés réellement intéressées,
    il est clair que je ne suis pas le seul à avoir été déçu. D’autres apparemment n’en sont pas restés là!

    Cordialement,

    In cauda venenum

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