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Alors que le verdict rendu mercredi 24 octobre 2012, par la Cour d’Appel de Paris, déclenchait un raz-de-marée de commentaires dans la presse et sur les forums de discussion, le contenu de cette décision reste controversé.

Au siège de la Société générale, à La Défense (photo © GPouzin)

Au siège de la Société générale, à La Défense (photo © GPouzin)

La Cour d’appel a intégralement suivi le jugement de première instance, confirmant la condamnation de l’ancien trader de la Société générale à cinq ans de prison, dont trois fermes, et au remboursement de 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts à la Société générale. « Une injustice absolument lamentable », a aussitôt commenté maître David Koubbi, le principal avocat en charge de sa défense. Quelques heures plus tard, Jérôme Kerviel indiquait à l’antenne de RTL son intention de se pourvoir en cassation. Cette procédure étant suspensive, le dénouement de cette affaire est reporté de plusieurs années.

Il faut dire que l’arrêt d’appel en a surpris plus d’un au regard des arguments déployés par la défense lors de sa plaidoirie du 28 juin 2012 à laquelle assistait Deontofi.com. Les bases juridiques de l’accusation semblaient contestables, comme on le comprend en relisant les arguments exposés par ses avocats qui feront l’objet de débats passionnants devant la Cour de Cassation.

La plaidoirie de la défense de l’ancien trader avait mis en cause la qualification pénale et les fondements juridiques des trois délits dont il était accusé.

Trois chefs d’accusation contestés.

Pendant près de deux heures, maître Julien Dami Le Coz avait mis en doute les fondements juridiques des infractions retenues contre Jérôme Kerviel.

1 – Introduction frauduleuse dans les systèmes de données.

« Selon l’article 323-3 du Code pénal, c’est le fait d’introduire, supprimer ou modifier des données dans un système de traitement automatisé, rappelle l’avocat. Mais aucun texte ne définit de quoi il s’agit alors que c’est une obligation légale. Le sénat avait proposé une définition mais l’Assemblée l’a retirée si bien que lesystème judiciaire est légalement démuni pour sanctionner une infraction dont l’objet n’est pas défini. » Il poursuit sur le fond : « Jérôme Kerviel disposait des autorisations pour introduire, modifier et supprimer des données comme les autres traders dont la banque admet qu’ils puissent dissimuler leurs risques et résultats puisque ces maquillages classiques sont des pratiques habituelles de la Société générale qui a eu elle-même recours à des opérations fictives. Et elle avait connaissance des opérations de Jérôme Kerviel. » Il cite le témoignage de madame Auclair : « Jérôme Kerviel nous l’avait déclaré dès avril 2007. Il y avait souvent des problèmes sur ses opérations et nous avions des réunions tous les mois ». Et de poursuivre : « il le disait, c’était su, en quoi peut-on dire que ce n’était pas vu ? Il n’y a pas d’élément moral, pas d’intention de dissimuler ».

2 – Faux et usage de faux.

Il est reproché à Jérôme Kerviel sept courriels dont Julien Dami Le Coz estime qu’ils ne peuvent être qualifiés de « faux et usage de faux » au sens de l’article 441-1 du Code pénal. « Selon une jurisprudence constante, il n’y a pas de faux si le document falsifié, sujet à vérification, est dépourvu en lui-même de valeur probatoire et n’a aucune conséquence juridique », précise l’avocat. Il explique que les courriels en question étant des pré-confirmations de transactions soumises à vérifications, ils n’avaient aucun effet juridique ni valeur probatoire. « Dire le contraire occulterait le rôle des autorisations », ajoute-t-il. Il estime aussi que Jérôme Kerviel n’a jamais pu et voulu tromper les destinataires de ces courriels tant ils étaient exagérés. « Comme la Cour de cassation l’a dit dans un arrêt du 21 mai 1984 sur une publicité Samsonite, l’outrance et l’exagération ne peuvent tromper personne. »

3 – Abus de confiance.

Julien Dami Le Coz revient enfin sur le dernier délit reproché à son client. « Au début de l’instruction il était envisagé de l’inculper pour escroquerie, mais quand les enquêteurs ont vu qu’il n’avait tiré aucun profit de manière frauduleuse, ils se sont dit il faut requalifier, on va trouver quelque chose, d’où cette nouvelle qualification succédanée d’abus de confiance. » Il en rappelle la définition : « Selon l’article 314-1 du Code pénal, c’est le détournement de biens préalablement remis par la victime à titre de détention précaire ». Cette notion de « mandat » est au cœur du débat. « La Société générale dit avoir remis des fonds à Jérôme Kerviel, mais c’était tout au plus une limite, explique l’avocat. Or il n’existe aucun document signé où il s’engageait à ne pas dépasser de limite ni aucun chiffre. » La Commission bancaire a elle-même écrit que « le mandat qui lui avait été confié n’était pas formalisé », autant dire inexistant juridiquement. Quant aux limites, elle a pointé qu’elles avaient été dépassées en 2007 par Jérôme Kerviel à plus de 2200 reprises, et dans 15% des cas par l’ensemble de l’équipe de trading Delta One. « Ces dépassements n’étant jamais sanctionnés il s’agit de simples objectifs, estime Julien Dami Le Coz, avant de conclure : Une juste application du droit ne peut conclure qu’à la relaxe ! ».

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