Alors que l’offre de reprise du Club Med par le chinois Fosun reste seule en lice, et que l’annonce du calendrier  de l’OPA prévu ce mardi 20 janvier a été repoussé de quelques jours par l’Autorité des marchés financiers (AMF), le clan du groupe chinois, allié aux dirigeants du Club, est sur le point de remporter la bataille des repreneurs. Une victoire entachée par des soupçons de manipulation de l’information qui auraient favorisé les vainqueurs.

Déjà utilisés par les professionnels de l'intox pour des produits de consommation, les faux commentaires d'analystes bidon font leur apparition dans les batailles boursières, pour manipuler l'opinion des investisseurs. (photo © GPouzin)

Déjà utilisés par les professionnels de l’intox pour des produits de consommation, les faux commentaires d’analystes bidon font leur apparition dans les batailles boursières, pour manipuler l’opinion des investisseurs. (photo © GPouzin)

Le JDN (Journal du Net) et Challenge ont révélé début janvier que de fausses tribunes avaient été publiées sur les sites internet de plusieurs médias, pour vanter les mérites de l’offre chinoise et dénigrer le challenger italien Andrea Bonomi. Le magazine Challenge va même plus loin. A la lecture de ces tribunes, comme le suggère notre confrère, on a l’impression qu’elles ont pu servir à faire faire passer un message à Andrea Bonomi. Il est sous-entendu, à deux reprises, qu’il lui sera difficile de faire des affaires en Chine sans l’appui du puissant conglomérat chinois Fosun. Et curieusement, Andrea Bonomi, qui avait en tête de porter cette affaire devant la justice française, a jeté l’éponge le 3 janvier 2015, renonçant simultanément, contre toute attente, à renchérir sur l’offre chinoise. Des pressions auraient-elles  été exercées sur le groupe italien ? Si ces faits étaient avérés, c’est l’actionnaire du Club Med qui en pâtit aujourd’hui, en étant privé d’une nouvelle surenchère !

Gérard Rameix, le président de l’AMF devrait-il retarder une fois de plus le feu vert à l’OPA ? Le titre Club Med est sous la surveillance de l’AMF depuis le lancement de l’opération. Le gendarme  scrute les transactions effectuées mais aussi l’information diffusée dans le cadre de l’OPA. A-t-il enquêté  sur une hypothétique manipulation de marché ? Peut-on parler d’information déloyale, dans la mesure où il y a dénigrement avec usage de fausses identités ? L’AMF nous a assuré qu’elle veillait au grain. De son côté Colette Neuville n’excluait pas la semaine dernière, de saisir la justice pour faux et usage de faux.

Une communication déloyale et non communiquée préalablement à l’AMF

Une fois de plus, Colette Neuville, la présidente de l’Association de défense des actionnaires minoritaires (Adam) tire le signal d’alarme. Comme nous l’avions indiqué, l’offre du chinois Fosun sur le Club Med a déjà soulevé des problèmes de conflit d’intérêt, mais cette fois-ci, il s’agit d’autre chose. Avec ces «fausses tribunes» à la gloire de Fosun et dénigrant Bonomi, qui ont pu orienter l’opinion des salariés et des politiques, voire faire passer des messages à l’italien pour qu’il jette l’éponge, leurs auteurs ont enfreint la réglementation exigeant que la communication financière en période d’OPA et de surenchères soit loyale et que « Les communications à caractère promotionnel… soient communiquées à l’AMF préalablement à leur diffusion ».

Réservée jusqu’alors aux dirigeants politiques, la communication d’influence pour ne pas dire « la manipulation d’opinion » fait donc son apparition dans le domaine des opérations financières. La tricherie est grossière, l’information souvent mal argumentée, et pourtant Le Journal du Net, Les Échos, Économie Matin ou encore Mediapart, semblent avoir été abusés.

Des similitudes relevées dans les arguments publiés par les faux analystes

Voici ce que révèle l’analyse que nous avons faite des  » tribunes fantôme » en question.

C’est le Journal du Net qui s’est aperçu le premier de la supercherie. Il a dénoncé le 5 janvier, la vague de fausses chroniques qui ont en commun les points suivants. Primo, mise à part celle qui est parue dans Les Echos, elles sont rédigées dans un style assez maladroit. Elles insinuent que les salariés sont contre le projet d’OPA de Bonomi alors que le comité d’entreprise le soutient au contraire dès le 15 octobre, contrairement à l’OPA de Fosun qui est rejetée par le CE.

Secundo, elles mettent en avant les mêmes arguments factuels comme le risque de suppression de postes de la part de l’italien, sa soi-disant vision court-termiste, ou encore son incapacité à développer l’entreprise en Asie à l’avenir. La rhétorique est toujours la même, « les avantages de Fosun et du potentiel de croissance qu’il apporte sont incomparables ». Peu d’arguments à l’appui, mais des propos pleins de partis pris et de subjectivité qu’on trouve rarement sous la plume d’analystes ou de consultants. Terzio, ces tribunes adoptent un ton proche du dénigrement pour évoquer les pratiques de l’homme d’affaires italien.

Le Journal du Net qui a révélé l’affaire, a remonté la piste d’un certain Marc Fortin auteur d’une chronique parue le 16 décembre 2014 sur son site. L’identité est fausse, l’auteur n’existe pas,  conclut le JDN qui a repéré la provenance du commentaire grâce à son adresse IP (internet): un spécialiste de la communication d’influence qui dément et menace. On constate néanmoins que «l’auteur fantôme» de la chronique dans le JDN, qui se prétend analyste financier chez MFR Business – société inexistante au greffe du Tribunal- , s’est peaufiné une fausse identité qui a abusé le JDN. Il dispose d’un faux CV sur Linkedin avec une fausse photo, mais également d’un compte Twitter et d’un compte Google. Le processus sera le même peu ou prou pour les autres usurpateurs d’identité.

Le titre de la « fausse chronique » parue le 16 décembre dans le JDN est soft : «Surenchère de Bonomi sur le Club Med : projet industriel ou simple opération financière ? ». La suite est plus salée. Qualifié de « raideur », « Bonomi… a fait parler de lui pour sa vision floue de l’avenir industriel de l’entreprise » explique le faux chroniqueur. Alors qu’on sait l’offre de l’italien soutenue par le comité d’entreprise, il n’hésite pas à affirmer : « Suppression de postes en France, développement de villages moyens de gamme non rentables et ralentissement de l’essor asiatique ont fait couler beaucoup d’encre et effrayé nombre d’employés et de syndicats ». Une tournure habile pour affirmer sans preuve ! Il est reproché tour à tour à l’homme d’affaires italien « des partenariats qui manquent pour la plupart d’ambition» mais surtout on lui prédit « une stratégie qui fonctionnera probablement à court terme, mais qui pourrait finir par plomber l’entreprise à long terme » ainsi qu’un « développement en Asie…quelque peu compromis ». Pour conclure finalement que le « refus de Bonomi de travailler avec le groupe asiatique (Fosun) ne l’aidera certainement pas à conquérir l’Empire du Milieu, qui constitue à lui seul une manne considérable de clients potentiels ». Le message est clair et la menace plane. Faut-il comprendre que si Bonomi ne renonce pas à l’OPA sur le Club Med ou ne s’associe pas à Fosun, l’avenir de ses affaires en Chine sera compromis ?

Quelques jours plus tôt, la chronique publiée sur Mediapart aurait elle aussi, dû éveiller les soupçons mais le site d’Edwy Plenel a décidé, une fois pour toutes, de laisser les lecteurs s’exprimer librement sur leur blog sans décliner forcément leur identité.

Le 4 décembre 2014, alors que le prix de l’OPA présentée par Fosun vient tout juste d’être relevé à 24 euros, sous le pseudo FabriceBL, un abonné signe un nouvel article sur son blog Mediapart. L’auteur anonyme, qui n’en est pas à son premier papier, enfile les contrevérités. Il affirme, contrairement à l’avis exprimé par le CE du Club Med, que les salariés souhaitent que Bonomi renonce « tant il semble évident que l’Italien n’est pas l’homme de la situation sur le dossier de la conquête chinoise ». Un peu plus loin, FabriceBL laisse entendre que l’offre de Fosun conserve bien plus l’ancrage français que l’offre italienne avec un argument fallacieux « le camp tricolore se taille une part du gâteau respectable grâce à la société d’investissement Ardian (6,2 %) » avance l’auteur anonyme. L’association de Bonomi avec Trigano qu’il nommerait président du Club, est qualifiée de « purement symbolique ». Le « raideur » italien est une fois de plus décrédibilisé : « L’homme s’est fait une spécialité de mettre le grappin sur des entreprises en perte de vitesse, de les rafistoler à la va-vite avant de les céder au plus offrant, en croisant les doigts pour que ses cache-misères ne tombent pas avant le deal » écrit l’imposteur. Pour finir, il évoque l’attitude du conseil d’administration du Club qui n’a fait, selon lui, que vanter les mérites de l’offre chinoise. Il oublie de dire que le Conseil ne s’est pas opposé à l’offre italienne.

Remontons encore en arrière dans le temps. Le 26 novembre 2014, c’est Alain Huet, un soi-disant analyste financier indépendant, également « fantôme », qui publie sur le site d’Economie Matin, une tribune particulièrement maladroite. Elle est titrée « OPA Club Med : de la nécessité de s’ouvrir au marché chinois ». La présentation de l’auteur, lui aussi inconnu au bataillon, aurait dû alerter la rédaction. La description qu’il fait de lui fait sourire : « Analyste financier indépendant, … spécialisé dans l’établissement de bilans complets d’entreprises de toutes natures. Les yeux rivés sur l’évolution des tendances économiques, il n’a pas son pareil pour prévoir quelles valeurs vont grimper ou chuter, et à quel moment. Il officie essentiellement à Paris, New York et Londres ».

Dans sa « tribune fantôme », il met en avant le danger que présente l’offre de Bonomi pour le Club Med et démolit maladroitement ce que l’on sait ( c’est à dire presque rien ) de la stratégie de l’Italien. « Et tant pis si cela ( la stratégie) prive in fine l’entreprise rachetée, de temps pour installer des résultats solides sur la durée. Ces considérations sont étrangères à Bonomi qui est connu pour préférer faire de l’argent rapidement et revendre à qui mieux mieux» écrit-il. Il avance que la 
volonté de Global Resort, la société de Bonomi, « est de recentrer l’activité du Club Med sur le marché français et de retirer à la société toutes perspectives de développement à l’international, et donc de croissance». « Au rayon des bonnes idées, on demande Andrea Bonomi» ajoute le faux chroniqueur qui dans un style digne du « bureau du parti », met, au contraire, en exergue les avantages de l’offre de Fosun sur le thème « La Chine, une garantie de croissance pour le Club Med ». Il vante, entre autres, les perspectives de développement qu’offre le tourisme chinois et conclut que les arguments de croissance de Fosun « … n’auraient pas de mal à faire leur chemin dans n’importe quelle réflexion saine », mais qu’elles « peinent pourtant à trouver un écho dans la façon dont Bonomi envisage l’avenir du Club ». « Et quand bien même il aurait des velléités de développer le Club Med en Chine, il n’y a qu’à voir le désastre que sont actuellement en train de vivre les voitures Aston Martin, propriétés de Bonomi depuis 2012, sur le marché chinois pour réaliser que l’homme serait incapable d’y développer les villages vacances ». Ce qui surprend ici, c’est que l’imposteur a l’air bien informé de la situation de l’italien en Chine. Le texte contient-il un message subliminal du type « il sera difficile pour le Club Med orchestré par Bonomi de faire des affaires en Chine s’il s’obstine ».

Quelques semaines plus tôt, le 20 octobre 2014, le quotidien économique Les Echos publiait lui aussi une contribution sur le Club comme il le fait régulièrement à la demande de ses lecteurs qui deviennent ainsi des auteurs.

Cette fois-ci encore la chronique (visible ici) est partisane, bien que nettement mieux rédigée. Elle paraît quelques jours après que les salariés et le conseil du Club Med se soient prononcés sur l’offre de Bonomi et de Fosun. Le problème c’est son auteur se cache lui aussi sous une fausse identité, celle de Guillaume Barabe un soit-disant Consultant Marketing. Le titre est relativement neutre « Bonomi au coude à coude sur la dernière ligne droite », il vante néanmoins sans retenue l’offre de Fosun avec toujours les mêmes arguments : le potentiel de croissance inespéré du marché chinois et surtout l’ancrage français qui vient comme une promesse. Cité, Georges Pauget, administrateur indépendant et vice-président du Conseil d’administration du Club Med y explique que deux engagements importants ont été pris par Fosun pour désamorcer les inquiétudes sur ce plan là : « le maintien d’une cotation à Paris… et la très large autonomie du management ». Or, on sait à présent que la promesse du maintien d’une cotation à Paris ne sera pas tenue. Si plus de 95 % du capital est apporté lors de l’OPA qui doit se terminer en février, une offre publique de retrait est prévue dans la foulée, indique le calendrier prévisionnel de l’AMF.

Contacté par DéontoFi Georges Pauget  dit ignorer d’où viennent ces tribunes.  Il indique que dans son rôle au sein du Club Med, il a pu seulement s’assurer qu’elles ne venaient pas du management ou de son agence de communication. Il explique ainsi le changement de comportement de Fosun, en ce qui concerne le retrait de la cote évoqué dans la Tribune « les propos qu’on me prête proviennent d’une interview donnée aux Echos et parue le 9 octobre 2014, alors qu’à l’époque, après la première contre-offre de Bonomi, le prix de l’OPA ne s’était pas encore envolé. Fosun pouvait alors penser que certains investisseurs garderaient leurs actions et qu’un retrait de la cote ne serait pas à l’ordre du jour. La dernière offre qui propose 24,60 euros par action a changé la donne pour Fosun. Les chances de récolter plus de 95 % du capital sont plus grandes, par conséquent la loi a prévu dans ce cas la possibilité de mettre en œuvre une procédure de retrait de la cote » [NDLR :  expropriation obligatoire des minoritaires à la demande d’un actionnaire contrôlant au moins 95%].

Les actionnaires, salariés, clients ou pouvoirs publics peuvent donc dire adieu au fameux « ancrage français du Club Med »….

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