Bonne nouvelle pour les grands patrons peu scrupuleux ! Dans l’affaire des fraudes boursières reprochées à Jean-Marie Messier, le verdict prononcé par la Cour d’appel de Paris, ce lundi 19 mai 2014, relaxe l’ex-PDG déchu de Vivendi du délit de fausse information, dont il avait été reconnu coupable en première instance. Décryptage et commentaires de déontologie financière. (Retrouvez tous nos articles sur le procès Vivendi – Messier ici)

Maître Frédérik-Karel Canoy, premier avocat à avoir dénoncé le scandale Vivendi, est aussi actif dans de nombreux procès de fraude financière comme celui d'Altran. (photo © GPouzin)

Maître Frédérik-Karel Canoy, premier avocat à avoir dénoncé le scandale Vivendi, conteste la légalité du verdict de Cour d’appel relaxant Jean-Marie Messier du délit de fausse information alors que cette infraction a été définitivement reconnue par la Cour de Cassation. (photo © GPouzin)

A 13h30, tous les protagonistes de l’affaire Vivendi s’entassaient dans la petite salle d’audience de la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel. Les avocats des accusés retrouvent ceux des parties civiles, avec leurs confrères et collaborateurs ayant travaillé pendant douze ans sur ce dossier, on remarque quelques actionnaires ruinés par les frasques de J2M, et même deux salariés de Vivendi instrumentalisés par leur patron dans sa folie des grandeurs, l’ex-trésorier et son adjoint, ainsi qu’une demi-douzaine de journalistes.

Tout le monde est là, ou presque, car Jean-Marie Messier lui-même, et son ex-directeur financier Guillaume Hannezo, brillent par leur absence, comme l’observe la présidente de la Cour, le juge Mireille Filippini, en entrant dans la salle avec l’intention non dissimulée de traiter cette affaire au plus vite. Un quart d’heure pas plus. C’est le temps qu’il lui faudra pour lire à toute vitesse les principales dispositions du projet d’arrêt de 164 pages qu’elle distribue aux avocats des prévenus.

« La cour, statuant publiquement et en second ressort, reçoit les appels de messieurs Guillaume Hannezo et Jean-Marie Messier, prévenus, ainsi que des parties civiles. Rejette les exceptions de nullité. Confirme le jugement de première instance sur le délit d’Abus de biens sociaux de monsieur Jean-Marie Messier sur le terminal agreement, confirme le jugement de première instance sur les délits d’initiés de monsieur Guillaume Hannezo, confirme le jugement de première instance sur les délits d’initiés de monsieur Edgard Bronfman. Déclare monsieur Guillaume Hannezo non coupable du délit d’information

La présidente de la Cour d'appel, Mireille Filippini, rejuge l'affaire Vivendi. Dessin ©Yanhoc

La présidente de la Cour d’appel, Mireille Filippini, rejuge l’affaire Vivendi. Dessin ©Yanhoc

trompeuse, le relaxe. Déclare que monsieur Jean-Marie Messier est non coupable de fausse information sur l’endettement de Vivendi, sur le communiqué de presse, l’interview aux Echos, l’annulation d’actions [NDLR qu’il avait annoncée et n’a jamais réalisée, noyant au contraire le marché d’actions Vivendi], et l’assemblée générale [NDLR, celle où Messier affirme que « Vivendi va mieux que bien » !]. Condamne monsieur Jean-Marie Messier à dix mois d’emprisonnement avec sursis [NDLR, peine réduite de 72% par rapport aux trois ans de prison avec sursis auxquels il était condamné en première instance] et 50 000 euros d’amende, sans inscription au casier judiciaire [NDLR, le casier vierge pour les coupables condamnés semble un privilège réservé aux élites de la délinquance financière]. Condamne monsieur Edgar Bronfman à 5 millions d’euros d’amende, dont 2,5 avec sursis. Sur l’action civile, la Cour déboute les parties civiles de toutes leurs demandes. Je distribue un projet de décision rédigé aux avocats des prévenus, mais vous verrez qu’il n’est pas encore tout à fait finalisé, explique la présidente. Vous verrez notamment que la Cour avait prévu des avertissements pour les prévenus, mais comme ils ne sont pas là n’auront pas d’avertissement. » [NDLR, l’avertissement consiste à sermonner publiquement les accusés pour les humilier un peu et les dissuader de recommencer, pratique quasi-systématique pour les petits voleurs mais bien plus rare pour les grands délinquants financiers].

Sur ce, la présidente Mireille Filippini demande à toute cette assemblée de bien vouloir sortir, pour libérer la salle et que le quotidien de cette juridiction puisse reprendre son cours. Une mesure de salubrité publique, car il pourrait être choquant d’entendre les sanctions réelles, parfois infligées au menu fretin des patrons de PME indélicats, par contraste avec l’indulgence réservée aux malfaiteurs du CAC 40.

A la sortie de l’audience, les micros de quelques journalistes, dont France Info, se tendent vers les avocats. Maître Francis Szpiner, le plus combatif défenseur de l’ex-PDG déchu, jubile d’avoir obtenu mieux que tout ce que son client pouvait espérer, même s’il reste encore une tâche à gommer de son CV, concernant la condamnation pour abus de biens sociaux. « Nous ferons un pourvoi en cassation, annonce aussitôt ce plaideur. Ce qui est important aujourd’hui, c’est que Jean-Marie Messier a démontré que rien de ce qu’il avait fait durant toute la gestion de Vivendi n’était blâmable ou coupable. Il n’y a jamais eu de faux bilan, il n’y a jamais eu de fausses informations, les actionnaires n’ont jamais été trompés. Voilà la grande victoire que Jean-Marie Messier a remportée aujourd’hui. » Ce jugement valide surtout la grande victoire du mensonge sur la vérité, car il est avéré qu’à la tête de Vivendi, Jean-Marie Messier a sciemment menti à ses actionnaires et trompé les investisseurs.

Vivendi et son ex-PDG déchu ont été condamnés et sanctionnés par plusieurs tribunaux pour des fraudes boursières avérées autour de ces mensonges et tromperies, que ce soit en France ou aux Etats-Unis. Grâce à l’entraide solidaire du patronat français (Afep, Medef) et des pouvoirs publics au secours de ses grandes entreprises, Vivendi et Jean-Marie Messier ont pu réduire la portée des procédures et sanctions de la justice américaine (lire en fin de cet article le paragraphe sur les frais de justice de Vivendi et la « décision Morrison » de la Cour suprême). Cela semble s’être encore mieux passé avec la Cour d’appel de Paris, la présidente Mireille Filippini ayant fait preuve d’une mansuétude à l’égard de Jean-Marie Messier cohérente avec sa condamnation de Jérôme Kerviel, qui exonérait toute responsabilité de la Société générale et de son ex-PDG Daniel Bouton, malgré les preuves accablantes de l’instruction.

Quant à la manipulation du cours de Vivendi par Jean-Marie Messier, elle avait bien été repérée par les services de surveillance du gendarme boursier, mais on avait appris à l’occasion d’une audience pourquoi elle n’a jamais été sérieusement poursuivie. Le directeur de l’autorité boursière avait personnellement demandé à son président de ne pas engager de procédure de sanction à l’égard de Vivendi pour ses infractions à la réglementation, mais d’écrire à Jean-Marie Messier pour lui demander gentiment de ne pas recommencer.

Pour l’instant, le message de ce jugement semble clair : « dirigeants d’entreprises cotées, vous ne risquez pas grand chose à mentir aux actionnaires et présenter vos comptes de façon trompeuse, ce n’est pas un délit de fausse information en France. Lampistes, soyez plus prudents, car s’il faut sanctionner un coupable dans le cadre d’une fraude financière, c’est vous qui irez en prison et pas les dirigeants qui en bénéficiaient jusqu’à ce que vous vous fassiez pincer. Enfin si vous êtes actionnaire individuel, arrêtez de vous plaindre car vous êtes des moutons et les moutons se font tondre » [NDLR le passage sur les moutons est extrait d’un dialogue du film Wall Street, 1987]. Certes, c’est un peu caricatural mais pas dénué de fondement. Il ne faudrait pourtant pas que les dirigeants se sentent trop encouragés à frauder, ni que les épargnants soient dissuadés d’investir en Bourse, alors qu’on peut y faire fructifier ses économies, à condition de ne pas se fier aux bonimenteurs en tout genre.

Infatigable défenseur des justes causes, Maître Frédérik-Karel Canoy ne se départit pourtant pas d’une lueur d’espoir. L’avocat veut se pourvoir en Cassation au nom des actionnaires bafoués qu’il représente, car il estime qu’au-delà de sa morale contestable, le verdict de la Cour d’appel de Paris du 19 mai 2014 souffre d’un sérieux défaut de base légale. La Cour a tout simplement « oublié » qu’elle ne pouvait pas relaxer le coupable d’une infraction par ailleurs constituée et définitivement reconnue par la Cour de cassation, dans le volet civil de l’affaire Vivendi.

La responsabilité de la société, en plus de celle de Jean-Marie Messier, a déjà été reconnue par la justice à travers le procès de sa sanction par le gendarme de la Bourse. Condamné, une première fois, le 3 novembre 2004 par la Commission des sanctions de l’AMF, pour information trompeuse, Vivendi avait fait appel de cette sanction devant la Cour d’appel de Paris, qui l’avait confirmée. Le groupe s’était pourvu en Cassation. La Cour de cassation (décision du 19 décembre 2006) a cassé l’arrêt et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel, qui a de nouveau confirmé la sanction et la responsabilité de Vivendi, par un arrêt du 29 septembre 2009. Les juges ont confirmé que l’information financière de Vivendi «était trompeuse et que ce grief était imputable à Vivendi Universal ainsi qu’à son président, M. Messier». Ils avaient même ajouté que «la gravité des manquements s’appréciant aussi à la mesure du public concerné, il convient de relever que la société Vivendi Universal comptait en 2001 et 2002 environ un million d’actionnaires».

Edgar Bronfman, l'ex-patron de Seagram, venu éclairer la justice sur le contexte de l'affaire Vivendi dont les dirigeants sont rejugés à la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d'appel de Paris, en novembre 2013. Dessin ©Yanhoc

La justice française osera-t-elle condamner les administrateurs d’EADS pour délit d’initié aussi sévèrement qu’elle a condamné Edgar Bronfman, l’ex-patron de Seagram administrateur de Vivendi, malgré ses circonstances atténuantes ? Dessin ©Yanhoc

Un dernier point méritera d’être suivi avec attention, alors que le procès de l’affaire EADS devrait s’ouvrir à l’automne. On se rappelle qu’il s’agit potentiellement du plus gros délit d’initié des années 2000, des gros actionnaires d’EADS, sociétés ou individus siégeant à son conseil d’administration, avaient massivement vendu leurs titres EADS avant que leur cours s’écroule à l’annonce d’un retard de livraison des premiers avions géants Airbus A380. Ils plaident tous que leur vente était préparée et qu’ils ne pouvaient pas savoir que le titre allait baisser, avec des arguments identiques à ceux d’Edgar Bronfman qui vient d’être condamné à 2,5 millions d’euros d’amende pour délit d’initié (plus 2,5 millions avec sursis, soit 5 millions en tout). Il sera donc particulièrement piquant de voir si la justice française « ose » relaxer les dirigeants choyés du CAC 40 après avoir condamné un administrateur canadien dans des circonstances similaires, et avec quels arguments.

A défaut d’une victoire finale de la vérité sur le mensonge, la mise en perspective de ces « deux poids, deux mesures » sera peut-être l’occasion d’examiner à nouveau les contradictions de la justice républicaine selon la valeur qu’elle accorde à ses justiciables, sous l’angle de la déontologie financière.

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6 commentaires

  1. PASCAL LAVISSE AVOCAT DE L'APPAC, le

    Nous n’émettons aucun commentaire mais vous informons que l’APPAC et ses adhérents ont dès le 20 mai 2014 , par mon intermédiaire , formé un pourvoi en Cassation contre la décision rendue par la Cour d’Appel de Paris qui relaxe du délit d’information trompeuse jugé comme constitué par la même Cour sous une autre forme en confirmation de la décision de sanction de l’AMF.

  2. Pellegrini Henri, le

    La Fontaine l’avait déjà dit en son temps : « Que vous soyez puissants ou misérables, les jugements de la cour vous rendrons blanc ou noir »
    qu’y à t-il de changé depuis lors ?

  3. Philippe Fontfrede, le

    Question a Michel Sapin, ministre du budget : selon lui, a partir de combien de mois de peine de prison un condamne serait il considère comme un délinquant ?. 10 mois avec sursis ou 36 mois fermes ?.

  4. Philippe Fontfrede, le

    Internet n’est pas qu’un accès ou une adresse mail… mais bien une vraie rupture. Historiquement toutes les ruptures (roue, vapeur, acier. pétrole,… Internet) ont vu les anciens modèles disparaître au profit de nouveaux. Il est grand temps de les voir émerger… et rejeter aux oubliettes leurs pires dérives et mauvais acteurs. Vivendi n’a pas encore compris le mythe moderne de Prométhée… Est ce déjà trop tard ?

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