Le procès en appel pour abus de confiance des ex-dirigeants du complément de retraite des enseignants et fonctionnaires (Cref) est l’occasion de comprendre comment 450 000 épargnants se sont fait piéger par ses fausses promesses. Deontofi.com publie les plaidoiries des quatre avocats défenseurs des victimes du Cref, telles que présentées à l’audience du 6 décembre 2013. (Tous les articles sur l’affaire Cref ici)

Plaidoirie de Maître Yann Le Bras, deuxième partie (2 sur 2 ).

Maître Yann Le Bras, avocat liquidateur de la mutuelle qui gérait le Cref, chargé d'indemniser les victimes avec les actifs récupérés (photo © GPouzin)

Maître Yann Le Bras, avocat liquidateur de la mutuelle qui gérait le Cref, chargé d’indemniser les victimes avec les actifs récupérés (photo © GPouzin)

Après maîtres Lecoq-Vallon et Bonifassi, défenseurs des victimes du Cref réunies dans l’association CIDS, l’avocat Yann Le Bras intervient en tant qu’avocat du liquidateur de la mutuelle afin de récupérer le maximum d’argent en dédommagement des épargnants-créanciers.

Mais il y a l’article 515… reprend Maître Le Bras, après avoir repris son souffle comme pour s’atteler à la longue déconstruction d’un obstacle menaçant. (NDLR, selon l’article 515 du Code de procédure pénale : « La partie civile ne peut, en cause d’appel, former aucune demande nouvelle ; toutefois elle peut demander une augmentation des dommages-intérêts pour le préjudice souffert depuis la décision de première instance »).

Comment passer cet article 515 sur l’historique de constitution de partie civile de l’UN MRFP ? (NDLR, cette question est importante pour l’avocat du liquidateur qui n’était pas partie civile au procès de première instance et qui craint que les avocats adverses s’opposent à la recevabilité de son action en plaidant qu’il s’agit d’une demande nouvelle, donc interdite par ce fameux article 515).

A la cote 5091 (référence de cet élément dans le dossier d’instruction), Jean-François Jean s’explique, le 30 mai 2002, quand il est interrogé sur sa constitution de partie civile et son intérêt à agir : « la mutuelle verra si ces éléments donnent lieu à qualification pénale ». Auparavant monsieur Teulé-Sansacq avait été cette partie civile, qui bascule ensuite quand il est mis en examen. Au final la partie civile n’a ni corroboré l’action publique, ni formulé de demande.

La jurisprudence considère qu’une demande est nouvelle sur la base de quatre points que Maître Yann Le Bras a examinés soigneusement: « Je ne crois pas que l’on ait une demande nouvelle », explique-t-il au fur et à mesure qu’il déroule ses arguments.

Selon l’article L641-9, paragraphe 1, alinéa 1, du Code de

Maître Yann Le Bras, avocat du liquidateur de la mutuelle qui gérait le Cref, chargé d'indemniser les victimes avec les actifs récupérés (photo © GPouzin)

Maître Yann Le Bras, avocat du liquidateur de la mutuelle qui gérait le Cref, chargé d’indemniser les victimes avec les actifs récupérés (photo © GPouzin)

commerce, le liquidateur a qualité à reprendre toutes instructions en cours et à représenter le collectif des créanciers pour la reconstitution du patrimoine. «Le dessaisissement du débiteur a ses limites, puisque ce dernier conserve la faculté d’exercer ses droits patrimoniaux et de se constituer partie civile devant le juge pénal (article L641-9 I alinéa 2) », précise l’avocat dans les conclusions écrites remises à la Cour.

La question était de savoir « qui, du débiteur ou du liquidateur, pouvait exercer l’action civile au pénal, dans la mesure où cette action est duale, ayant à la fois un caractère vindicatif, donc extrapatrimonial, et une nature indemnitaire ? » s’interroge Maître Le Bras dans ses conclusions.

L’arrêt de la Chambre criminelle du 5 décembre 2012 implique la possibilité de reprendre des instances en cours systématiquement à la suite d’une défaillance de dirigeants. Il cite un extrait de cette jurisprudence : « l’action civile devant la juridiction répressive à raison d’agissements délictueux reprochés aux dirigeants de la société en liquidation judiciaire et tendant à leur faire supporter à titre personnel le montant du dommage causé à la société en relation de causalité avec l’infraction, est une action exercée au nom de la société dans l’intérêt de l’ensemble des créanciers et en vue de réparer l’atteinte frauduleusement portée au patrimoine du débiteur personne morale dont l’exercice est réservé au liquidateur par l’article L641-9 paragraphe 1 alinéa 1 du Code de commerce » (Cass. Crim. 5/12/2002 n° 11-85.838).

Sur l’opportunité de déclencher l’article 515, il faut

Maître Yann Le Bras, avocat du liquidateur du Cref. (photo © GPouzin)

Maître Yann Le Bras, avocat du liquidateur du Cref. (photo © GPouzin)

souligner que l’interdiction des demandes nouvelles en appel ne s’applique pas lorsqu’un fait nouveau est survenu depuis la première décision, rappelle l’avocat du liquidateur. En l’occurrence, ce fait nouveau est que l’UNMRIFEN-FP a été placée en liquidation judiciaire par décision du tribunal du 7 juillet 2011 (NDLR, à peine un mois après la condamnation pour abus de confiance en première instance des ex-dirigeants du Cref, par le jugement du Tribunal correctionnel du 8 juin 2011.)

Le liquidateur judiciaire reprend les actions en cours, poursuit Maître Le Bras, il constate l’infraction, ce qui lui permet de présenter une demande chiffrée pour la première fois en appel. Cela existe, insiste-t-il (NDLR, le jeu de la mutuelle en tant que partie civile en première instance était si étrange, que le juge pénal avait déclaré son action irrecevable car elle ne demandait aucun dommage-intérêt). Aucun des quatre points caractérisant une demande nouvelle ne peut être opposé, conclut l’avocat du liquidateur, après avoir passé en revue chaque objection par anticipation.

A titre subsidiaire, nous réitérons la demande financière des parties civiles qui sollicitent un préjudice moral, or, le liquidateur judiciaire représente leurs créances. L’UNMRIFEN-FP sollicite, au titre de l’indemnisation du préjudice moral qu’elle a subi du fait des abus de confiance commis à son encontre, la somme de 80 000 euros correspondant à 10 000 euros par prévenu.

En vertu de l’article 1167 du Code civil, j’exerce une action paulienne. (NDLR, selon cet article 1167 du Code civil, les créanciers peuvent « en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits », disposition à l’origine de l’action paulienne permettant aux créanciers de poursuivre un débiteur pour des actes visant à échapper au paiement de sa dette, son étymologie dérive du latin Paulianus «de Paul», de Paulus «surnom romain porté par le prêteur qui institua cette action judiciaire»).

Voilà, madame le président, mesdames, messieurs les conseillers de la Cour, conclut Maître Le Bras. J’ai tout évoqué, j’ai tout essayé…

La présidente, qui a suivi cette plaidoirie avec une ostensible attention, semble impressionnée par le travail juridique méticuleux de l’avocat. J’ai une question, ponctue la magistrate, comme pour souligner la limpidité des arguments déroulés par contraste avec ce détail qu’elle voudrait préciser. Vous sollicitez une espèce de condamnation solidaire ?

Elle est possible… répond Maître Le Bras, en laissant à la Cour le soin de traduire cette hypothèse en affirmation. Les avocats de la partie adverse écoutent et scrutent chaque parole du plaideur, avec un mélange d’admiration embarrassée par la prestation de leur confrère. Comment répondre à une telle artillerie juridique ?

Sur l’article 475, ma demande tient compte du temps de présence à l’audience et des recherches archéologiques que j’ai dû mener sur cet article 515, ajoute-t-il avec un clin d’œil d’autodérision.

Sur ces mots, prononcés avec la spontanéité d’un étudiant concluant son oral décisif après d’intenses révisions, il

Maître Yann Le Bras, avocat du liquidateur du Cref. (photo © GPouzin)

Maître Yann Le Bras, avocat du liquidateur du Cref. (photo © GPouzin)

referme ses dossiers et rejoint ses confrères dans la travée des parties civiles. Un silence plane un instant sur la salle d’audience, le temps que chacun soupèse la qualité de cette plaidoirie par des chuchotements d’approbation. « Je n’avais pas le droit d’oublier quoi que ce soit, leur répond Maître Le Bras, comme pour justifier sa dissection si minutieuse des objections juridique attendues contre la demande du liquidateur. Je sais

… déclare-t-il en tendant une main

ouverte vers les avocats des prévenus, je sais ce qu’il va se passer, je sais ce qui m’attend de l’autre côté. »

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