L’audience du 19 novembre 2013 est consacrée aux plaidoiries des parties civiles victimes des dérives de Vivendi et ses ex-dirigeants, rejugés devant la 5ème chambre de la Cour d’appel de Paris. Deontofi.com publie les quatre principales plaidoiries. (Tout le feuilleton ici)
Deuxième partie de la plaidoirie de Maître Pascal Lavisse (2 sur 2) :

Maître Pascal Lavisse, avocat de Didier Cornardeau, président de l'Association des petits porteurs actifs (APPAC).  (photo © GPouzin)

Maître Pascal Lavisse, avocat de Didier Cornardeau, président de l’Association des petits porteurs actifs (APPAC). (photo © GPouzin)

Sur les délits je traiterai différemment Jean-Marie Messier, Guillaume Hannezo et Edgar Bronfman. Je ne me suis pas désisté à l’égard de Mr Bronfman. Le seul point sur lequel j’étais en réserve est qu’il me semblait que si un seul pouvait avoir le bénéfice du doute, c’était lui. Je redis la même chose en cause d’appel.

Concernant Jean-Marie Messier et Guillaume Hannezo, au contraire, nous nous bornerons aux éléments relevés par le tribunal correctionnel. Vous êtes libres de votre appréciation. On va nous dire qu’en France s’applique l’indépendance totale des procédures. Ceci étant, il y a quand même des faits qui donnent lieu aux mêmes conclusions et appréciations.

Maître Pascal Lavisse, avocat d'actionnaires individuels lésés par la dérive de Vivendi. Dessin ©Yanhoc

Maître Pascal Lavisse, avocat d’actionnaires individuels lésés par la dérive de Vivendi. Dessin ©Yanhoc

Vivendi est partie civile mais condamnée par la Cour d’appel et la Commission des sanctions de l’AMF. Voilà une bien drôle de partie civile qui a accepté de payer 50 millions de dollars à la SEC en raison des agissements de son management.

L’arrêt de Cassation traite des mêmes faits et relève que les requérants ne contestent pas que l’endettement annoncé de 3 milliards d’euros s’est révélé exagérément optimiste, faits desquels il déduit une communication trompeuse. La Cour d’appel a ainsi légalement justifié sa décision ajoutant que « la gravité des manquements se mesure aussi à l’ampleur du public concerné ». Jean-Marie Messier est allé saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) contre l’AMF, contre la Cour d’appel et la Cour de cassation. Méfiez-vous, il la saisira peut-être contre votre décision. Que dit la CEDH ? Elle valide tout et dit que ses droits ont été respectés.

Maître Pascal Lavisse s'étonne des discours de Vivendi. (photo © GPouzin)

Maître Pascal Lavisse s’étonne des discours de Vivendi. (photo © GPouzin)

Sur l’information trompeuse, il y a 27 milliards d’euros de dettes quand on annonce « Vivendi Universal sera net de dette au 1er janvier ». Le lecteur peut-il comprendre que Vivendi Universal est en endettement total ? Est-ce sincère ? Le 24 avril 2002 on donne une information trompeuse sur un cash-flow opérationnel pouvant servir à distribuer des dividendes ou au désendettement. J’écoute ce discours, j’ai confiance. Le 25 septembre 2001, quand on annonce l’annulation de 33 millions d’actions c’est important pour l’actionnaire qui sait que son dividende sera potentiellement plus important. Jean-Marie Messier communique en ce sens. Puis il n’y aura pas d’annulation, je ne suis pas informé, je garde mes actions sur la base d’une information trompeuse. Selon le rapport d’expertise et celui du rapporteur de la Commission des sanctions de l’AMF, la volonté de Jean-Marie Messier à l’époque est « d’entretenir l’image fallacieuse d’un gestionnaire efficace » dit la Cour.

Jean-Marie Messier, ex-PDG de Vivendi, et Guillaume Hannezo, ex-directeur financier, devant la Cour d'appel, en novembre 2013. Dessin ©Yanhoc

Jean-Marie Messier, ex-PDG de Vivendi, et Guillaume Hannezo, ex-directeur financier, devant la Cour d’appel, en novembre 2013. Dessin ©Yanhoc

Qui donne l’information ? Guillaume Hannezo écrit à un moment à Jean-Marie Messier : « tu fais de la comm à trois niveaux ». Mr Edgar Bronfman a mentionné dans son mémo de janvier 2002 à Jean-Marie Messier, qu’on m’a remis hier : « ce que je vous demande est de vous efforcer d’avoir une communication sincère. Nous avons la réputation, relativement fondée selon moi, d’utiliser les faits de manière sélective à nos avantages pour valider nos arguments quels qu’ils soient. Si nous avons des mauvaises nouvelles, communiquez-les avec doigté mais, surtout, sans tarder ». Vous avez dans le dossier l’expertise des deux plus grands experts qui le côtoyaient. Douze ans après, on nous sort des rapports, on nous montre des courbes pour dire

L'ex-PDG de Vivendi, Jean-Marie Messier, rejugé par la Cour d'appel de Paris, en novembre 2013. Dessin ©Yanhoc

L’ex-PDG de Vivendi, Jean-Marie Messier, rejugé par la Cour d’appel de Paris, en novembre 2013. Dessin ©Yanhoc

« c’est pas ma faute, tout ce que j’ai fait est bien ». Je suis d’accord avec vous, nous regardons ce dossier avec un entonnoir à l’envers, les faits retenus ne sont qu’une petite partie de ce qu’il s’est passé. Je reprends cette déclaration de Jean-Marie Messier lors de l’AG 2002 au Zénith « le nombre d’actionnaires individuels français a été multiplié par cinq en trois ans pour passer de 200 000 à plus d’un million. Vous êtes ensemble notre premier actionnaire avec plus de 20% du capital. L’intérêt du crime est là ! Il ne faut surtout pas le faire fuir, ce premier actionnaire, dans un moment de crise.

Concernant le délit d’initié, Guillaume Hannezo n’est pas seulement informé, il est le co-décideur, l’éminence grise du financement. On doit comparer ses actes personnels avec ses actes professionnels. Il exerce pour 7,7 millions d’euros d’options sur actions revendues à 8,9 millions d’euros. Dès le 13 décembre, l’annonce du principe et du calendrier est faite. Guillaume Hannezo, le 21 décembre, est destinataire du mémo de Goldman Sachs. Mr Bronfman a dit une chose extrêmement importante : « avant de lancer sur le marché 1,5 million d’actions familiales, nous avons hésité en

Edgar Bronfman, l'ex-patron de Seagram, venu éclairer la justice sur le contexte de l'affaire Vivendi dont les dirigeants sont rejugés à la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d'appel de Paris, en novembre 2013. Dessin ©Yanhoc

Edgar Bronfman, devant de la Cour d’appel de Paris, en novembre 2013. Dessin ©Yanhoc

raison de l’impact sur le marché ». Je ne dis rien sur Edgar Bonfman, vous apprécierez. Nous considérons dans ce dossier que les éléments qu’il a évoqués ne nous permettent pas de donner un avis et nous nous en remettons au parquet et au tribunal.

Concernant le troisième délit, l’abus de biens sociaux, Jean-Marie Messier avec une grande analyse juridique nous dit que tout est parfait. Mais nous avons une lettre de l’analyse interne de Vivendi versée au débat concernant le terminal agreement suite à son intervention à l’Assemblée nationale : « nous ne pouvons pas laisser Jean-Marie Messier énoncer tant de contrevérités… ». La législation dont se prévaut Jean-Marie Messier pour réclamer 20 millions d’euros est contestable. Juridiquement le problème est simple : le terminal agreement devait être validé par le conseil d’administration.

Pour notre constitution de partie civile on vous a versé un graphique sur le lien de causalité. Je citerai trois arrêts Obadia, Regina Rubens et Sidel. Que nous dit la jurisprudence ? C’est très simple. Dans l’affaire Obadia, selon la Revue de science criminelle, la Cour d’appel reçoit pour la première fois en 1999 les parties civiles dans leur demande et fixe comme point de référence le cours à la date où commence la communication mensongère. Dans l’affaire Marionnaud, pour apprécier l’indemnité des parties civiles on avait pris la différence entre le prix de cession des actions à l’OPA en 2005 et le cours auquel les initiés avaient vendu antérieurement. La Cour indemnise en raison de la perte de chance, qui ne se confond as avec l’aléa boursier. Nous présentons un tableau avec une date d’achat puis de vente ou de conservation. Je vous présente mon préjudice maximum au regard de la perte de chance. Sans aléa, l’indemnisation intégrale de ce préjudice serait de 100%. Si vous estimez qu’il y a un aléa, fixez l’indemnisation en fonction de ce que vous considérez comme l’influence de la perte de chance sur cet investissement.

Frédérik-Karel Canoy, premier avocat des actionnaires de Vivendi, et son confrère Pascal Lavisse, avocat de l'Association des petits porteurs actifs (Appac). Dessin ©Yanhoc

Frédérik-Karel Canoy et son confrère Pascal Lavisse. Dessin ©Yanhoc

Quelques précisions. J’ai été ahuri de lire cette nuit, quand j’ai enfin pu avoir les conclusions de Vivendi, qu’elle considérait que sur la communication du 24 avril 2002, seules les personnes présentes à l’assemblée générale devraient être indemnisées. Il suffit de taper sur internet « Messier discours AG 24/04/2002 » pour y accéder. Je l’ai vu et entendu. Il est mal accueilli. Après un mea-culpa, Jean-Marie Messier repart « allez, tout va bien, il faut remettre de l’argent dans Vivendi ». On nous prend pour des lapins ! Vous avez des articles de presse qui reprennent cette information. Nous soutenir qu’il faudrait être dans la salle pour avoir un préjudice, c’est ce moquer du monde ! C’est irrespectueux envers les parties civiles.

Sur le délit d’initié, le lien est suffisant pour avoir droit à indemnisation. Vous apprécierez.

Pour le dernier délit d’abus de biens sociaux, on me dit « tu n’as pas le droit à une indemnisation du préjudice subit par la société ». Mais diantre ! La société ne réclame pas l’indemnisation de son préjudice. Existe-t-il une prohibition que les actionnaires réclament l’indemnisation du préjudice subi sur leur investissement dans une société dont le dirigeant a commis un ABS ? Ce droit est propre à chaque associé, à chaque actionnaire, dont le préjudice autonome est distinct de celui de la société.

Au titre de l’article 475-1 pour les petits porteurs de l’Appac nous demandons depuis des années…

La présidente de la Cour d'appel, Mireille Filippini, rejuge l'affaire Vivendi. Dessin ©Yanhoc

La présidente de la Cour d’appel, Mireille Filippini, rejuge l’affaire Vivendi. Dessin ©Yanhoc

–         Il n’y a pas de class action en France, interrompt la présidente avec agacement. Vous ne représentez pas les petits actionnaires, ni l’Appac, mais des individus.

–         J’interviens pour chaque actionnaire individuellement, la rassure Maître Lavisse. Les actionnaires, réunis sous la bannière de l’Appac, qui possède aussi une action, mais pris individuellement, demandent que les faits incontestablement constitués aient une sanction et qu’il n’y ait pas d’impunité manifeste.

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