Dans le procès en appel pénal des dirigeants d’Altran, poursuivis pour divers délits comptables et boursiers (faux et usage de faux, diffusion d’informations trompeuses, présentation de comptes non sincères…), l’audience du 28 janvier 2014 était consacrée aux plaidoiries des parties civiles que Deontofi.com a suivi attentivement. Nous publions ici le compte-rendu exclusif de la plaidoirie orale de Maître Pascal Lavisse, avocat intervenant pour les actionnaires floués d’Altran adhérents de l’Association des petits porteurs actifs (Appac).

Maître Pascal Lavisse, avocat de l'Association des petits porteurs actifs (APPAC) et son président, Didier Cornardeau.  (photo © GPouzin)

Maître Pascal Lavisse, avocat de l’Association des petits porteurs actifs (APPAC), et son président, Didier Cornardeau. (photo © GPouzin)

Plaidoirie de Maître Pascal Lavisse, première partie (1 sur 2)

Je partage l’étonnement du tribunal de voir Altran se présenter comme partie civile victime d’un délit dont elle est accusée, sa plaidoirie est schizophrène, entame Maître Lavisse, qui intervient juste après la plaidoirie de Maître Peltier (NDLR, avocat ayant la difficile tâche de défendre Altran en tant qu’accusée et victime des mêmes faits, en niant à la fois sa culpabilité et son préjudice -rédaction sur demande-). La société Altran a subi un préjudice durable, qui n’a jamais été réparé par le temps puisque la confiance des investisseurs n’est jamais revenue, explique Maître Lavisse. Alors que mes clients avaient investi quand les actions Altran cotaient jusqu’à 280 euros, 120 euros, voire 60 euros au minimum, douze ans après, l’action Altran ne cote toujours plus que 6,48 euros.

La situation d’Altran ressemble étonnement à celle de Vivendi dans l’affaire que nous plaidions il y a deux mois, rappelle l’avocat de l’Association des petits porteurs actifs (Appac).

Première similitude, les dirigeants veulent que leur société devienne la première société mondiale dans leur domaine. C’est méritoire. Le seul problème est qu’il faut qu’ils ne dérapent pas. Dans le cas présent, ce qui est jugé n’est pas le mérite indéniable des fondateurs, mais leurs dérapages et manque de contrôle, et le fait qu’ils en ont profité.

Deuxième similitude : ils ne savent pas calmer leur ego. Quand le chiffre d’affaires n’est pas aussi beau, que le cours est menacé par sa moindre hausse, on va refuser de l’assumer et effectuer toutes sortes de manœuvres.

Troisième similitude : à ces niveaux les dirigeants n’admettent ni ne comprennent qu’ils doivent accepter de subir le marché, ils veulent le dominer. C’est ainsi qu’on franchit la ligne.

Quatrième similitude : à chaud, ils le font en totale impunité en disant « ce n’est pas possible qu’on ait fait ça ». A froid, dix ans après, cela conduit a l’amnésie et à soutenir des inexactitudes juridiques absolues.

Cinquième similitude : quel que soit le niveau de la société, on s’aperçoit que tous les garde-fous prévus par la loi ne servent pas à grand chose puisque les moyens les plus simples permettent de créer des éléments faux sur lesquels on fait une fausse communication.

Selon Maître Pascal Lavisse, Altran ne pouvait escompter les fausses factures utilisées pour gonfler son chiffre d'affaires fictif. (photo © GPouzin)

Selon Maître Pascal Lavisse, Altran ne pouvait escompter les fausses factures à établir utilisées pour gonfler son chiffre d’affaires fictif. (photo © GPouzin)

Premier élément : les FAE (NDLR, « factures à établir » moyen utilisé pour gonfler le chiffre d’affaires fictif d’Altran). C’est un peu comme quand un petit boutiquier auvergnat dit à sa banque : « je suis sur un gros coup ça va rentrer ». Leur utilisation par Altran est du même acabit.

Deuxième élément : les cessions de créances non provisionnées. Les dirigeant d’Altran disent «  nous avons fait une cession de créances car on ne savait pas faire de l’affacturage ». Messieurs, vous vous moquez de nous ! Toutes les sociétés d’affacturage frappent à la porte pour proposer leurs services à une telle entreprise. Le seul problème est que l’on ne peut pas céder des créances qui n’existent pas.

On arrive à la communication sur les comptes non sincères. Là c’est « pas vu pas pris. Vu pris, responsable et coupable ».

Dernière similitude : on nous invoque des grands principes, le droit européen, etc, pour nous dire qu’il n’est pas possible, quand une instance administrative prononce une sanction assimilée à une décision pénale, de passer ensuite au pénal.

Imaginons qu’un avocat détourne un compte Carpa de ses clients et soit rayé de l’ordre des avocats, on ne pourrait plus engager de poursuites pénales. Pour un médecin radié idem. Soyons sérieux ! L’Etat peut créer des dérogations en matière fiscale, de concurrence et boursière. Vous allez fixer une sanction dont on déduira celle déjà infligée, demande-t-il aux juges, ce qui évite une double sanction des mêmes faits.

Le deuxième groupe de personnes qui m’intéresse est celui des parties civiles. Je représente les petits porteurs fédérés par l’Appac, que beaucoup aimeraient voir rester silencieux. Les actionnaires acceptent l’aléa et le risque qui font partie de l’investissement en Bourse. Si l’on joue à la roulette au casino, on sait que l’on peut perdre de l’argent, mais on n’apprécie pas qu’il y ait un aimant sous la table pour fausser les résultats. C’est ce que vous avez fait, lance-t-il aux accusés. Nous avons acheté des actions sur des informations optimistes et nous avons perdu 600 000, 100 000 euros, etc., ce ne sont pas des montants neutres.

Mon raisonnement se déroule en trois points : les faits, leurs auteurs, les indemnités.

Les faits. Sans reprendre en détail, je voudrais ajouter quelques touches objectives précises qui font penser que les moyens de la défense sont incohérents.

Le taux d’inter-contrats était de 5%, annonce Monsieur Friedlander, cela a été dit mais ce serait bévue de ne pas l’avoir dit avant. Monsieur Bonan dit que ce n’est pas significatif et pas parlant : double mensonge. Je prends la pièce 5 : le communiqué de presse d’Altran du 9 octobre 2002, deux jours avant l’article du Monde (NDLR, qui révèle les premiers soupçons de la fraude). Ce taux d’inter-contrats est important car plus les ingénieurs sont affectés à des projets, plus ils génèrent de chiffre d’affaires, et inversement. Mais on nous dit qu’il n’y aurait pas eu de communication sur ce point car l’Assemblée générale était levée au moment de la réponse sur cette question, donc qu’il n’y aurait pas eu de fausse information. Pour habile qu’on soit, il faut être sérieux. Levez le doute ! Communiquez-nous l’enregistrement de cette Assemblée générale. On ne nous le donnera pas car depuis dix ans ces propos tenus en AG n’ont jamais été contestés.

Sur le fonctionnement du conseil d’administration, la réunion du Codir (NDLR « comité de direction ») donne lieu à un procès verbal, un ordre du jour et une convocation. Chez Altran non, car il ne statuerait que dans l’urgence sur des imprévus. C’est un problème de gouvernance. On croyait que diriger c’était anticiper, mais on ne sait pas qui dirige. J’ai fait un rêve de ce que serait le PV du Codir d’Altran : « Ils étaient là et sont venus, ont dit des chiffres, tout le monde a compris et atteindrait cet objectif ». En réalité on ne sait pas qui y est : les deux présidents cofondateurs disent qu’ils n’y sont pas alors qu’ils y sont et finissent par l’avouer.

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