Première mise en œuvre de la Loi Florange donnant un droit de regard aux salariés sur le destin de leur entreprise, l’OPA sur le Club Med montre les limites du texte en vigueur depuis juillet 2014. Tout ne fonctionne pas comme prévu. Les surenchères se succèdent et il faudra à présent attendre la dernière offre pour que le comité d’entreprise du Club se prononce, rallongeant encore les délais de l’OPA la plus longue. 

Les salariés du Club Med s'inquiètent de la montée des enchères sur leur entreprise. Le "prix du Bonheur" inestimable pour les actionnaires risque d'être payé cher par les salariés.

Les salariés du Club Med s’inquiètent de la surenchère d’offres publiques d’achat (OPA) sur leur entreprise. Le « prix du Bonheur », inestimable pour les actionnaires, risque de coûter cher au personnel, qui craint des réductions d’effectifs et plus de pression pour rembourser les dettes de leur repreneur.

Grâce à la nouvelle loi Florange, le comité d’entreprise du Club Med s’est invité dans la bataille opposant le chinois Fosun et l’Italien Bonomi pour le contrôle du Club. La modification du code du travail, en avril 2014, pour y intégrer la « Loi Florange », permet aux représentants des salariés, même s’ils ne détiennent aucune action, de donner leur avis sur un projet d’offre publique d’achat (OPA). Cette nouvelle procédure n’étant entrée en vigueur qu’au 1er juillet dernier, les salariés du Club Med ont donc été les premiers, le 12 septembre 2014, à l’expérimenter dans la cadre de l’offre chinoise dite « Gaillon II », à 22 euros par action. Après avoir rencontré, le 16 septembre, les dirigeants de Fosun, initiateurs de l’offre, le CE a fait réaliser deux expertises aux frais du Club Med par le cabinet Alixio de Raymond Soubie et l’expert comptable Alter Conseil. Puis, sous un délai trois semaines, le 6 octobre dernier, avant la tenue du conseil d’administration, le CE a rendu un avis négatif sur l’OPA de Fosun, la qualifiant d’offre inamicale. Motif invoqué : une prise de contrôle chinoise à 80% risque de faire basculer le centre de gravité du groupe en Chine.

Cette procédure ressemble beaucoup à la consultation obligatoire pour un plan social (c’est-à-dire des licenciements sous couvert de « plan de sauvegarde de l’emploi », ou PSE), explique Michel Braquet, délégué syndical UNSA, puisqu’elle permet aux salariés d’obtenir davantage d’information des instigateurs des OPA. Les avis de différents interlocuteurs interrogés sur cette affaire Club Med montrent pourtant que la mise en œuvre de la Loi Florange n’est pas encore la panacée. Trois faiblesses ont été identifiées. Premièrement, le personnel est loin de faire bloc quand il s’agit de choisir son actionnaire. Deuxièmement, les réponses de l’initiateur de l’OPA aux questions du CE n’ont pas satisfait les salariés. Troisièmement, la procédure de consultation du CE ne cesse de rallonger la durée des OPA.

Les salariés divisés sur les projets de rachats selon leurs intérêts

Le premier problème soulevé lors de l’application de la Loi Florange au Club Med est celui de la représentativité des instances du CE. En effet, d’ores et déjà, certains représentants du personnel ont pris leurs distance avec l’avis du Comité d’entreprise dont le leadership appartient aux syndicats FO et surtout UNSA, principalement élus par le personnel du siège, des bureaux et des agences. Huit représentant de FO et de l’UNSA ont voté contre l’OPA de Fosun, tandis que les trois représentants CFDT et CFTC sont restés neutres. Le matin même du 6 octobre, le collectif des chefs de village du Club (49 sur 55) ainsi que le « leadership committee », composé de 74 cadres, sont allés contre l’avis du CE et ont apporté leur soutien à l’offre chinoise de Gaillon II, conformément aux vœux de leur PDG, Henri Giscard d’Estaing. Une loyauté qui sera très certainement récompensée par un intérêt financier à cette proposition, puisqu’elle associe 400 cadres au capital.

Ce point de vue des cadres n’a pas empêché le délégué de l’UNSA de déclarer qu’il préférait une offre de Global Resorts et qu’il attendait de l’italien Andrea Bonomi une surenchère. Mais par la suite, d’autres groupes de salariés ont exprimé une opinion contraire à celle des syndicats dominant le CE. Le 16 octobre, c’était au tour du Comité européen de dialogue social (CEDS) du Club Med, élargi à l’ensemble des organisations syndicales de sa zone Europe-Afrique (Turquie, Tunisie, Italie et Maroc), de faire entendre une voix discordante. Il a surtout exprimé son inquiétude. Cette fois, pas question de soutenir une offre quelconque. Si la surenchère est vue d’un bon œil par les investisseurs, dont les actions seront rachetées plus cher, ce n’est pas le cas chez les salariés. Plus le prix payé par l’acquéreur sera élevé, plus ils craignent la pression du management pour rembourser à marche forcée les emprunts souscrits par le nouveau propriétaire pour acheter leur entreprise. Presque toutes les entreprises rachetées à crédit subissent un tel régime : confier plus de tâches à moins de salariés sans les augmenter améliore la productivité à court terme mais pas forcément à long terme. Ils ne veulent pas en faire les frais !

Deuxième écueil de la loi Florange, le CE a bien eu la possibilité d’interroger l’initiateur de l’offre, mais le dialogue n’a pas apporté beaucoup de réponses. Encore fallait-il que le CE pose les bonnes questions. Or, deux sujets, pourtant au centre des préoccupations, n’ont pas été abordés. Le premier intéresse les effectifs administratifs, au premier chef. Il porte sur l’envergure d’un plan de licenciement que tout le monde sait inéluctable au siège parisien du Club. Le second préoccupe surtout les salariés des villages. Il concerne la « bonne dose » de touristes chinois accueillis par le Club Med sans risquer de mettre en péril sa « french touch ». 

Un dialogue superficiel et beaucoup de non-dits

Malheureusement, le dialogue entre représentants du personnel et dirigeants n’est pas toujours de la plus grande franchise. A fortiori quand il s’agit d’un dialogue avec des acquéreurs potentiels qui ont forcément tendance à se présenter sous leur meilleur jour. Côté CE, les questions des représentants syndicaux ont bien porté sur la culture française du Club Med, la future politique de ressources humaines, le comportement du groupe chinois vis-à-vis des entreprises qu’il rachète, la politique de distribution des séjours, la stabilité à long terme de l’actionnariat, mais tout en restant assez vagues… Les réponses venant de Guo Guangchang et Qian Jiannong, respectivement président et directeur général du groupe Fosun, ont été du même tonneau. S’ils ont affiché un profond attachement pour la « French Touch » du Club, insisté sur le caractère de long terme de leur investissement, les deux dirigeants ont surtout coupé court aux questions les plus précises reléguée à la direction du Club Med, qui assistait Fosun. Les dirigeants chinois ont voulu convaincre que tous les problèmes du Club seraient résolus par la croissance forte venue d’Asie. Un peu caricatural tout de même !

Les délais à rallonge d’une OPA sans fin

Enfin, si la loi Florange n’améliore pas réellement le dialogue social, elle peut rallonger la durée des offres. Le législateur n’avait peut-être pas envisagé qu’une entreprise puisse faire l’objet d’autant de surenchères et, à ce titre, le Club Med est un terrain d’expérimentation intéressant. La procédure de consultation du CE prend en théorie quatre semaines. C’est peu, lorsqu’il s’agit de rencontrer les dirigeants, puis de commander et faire réaliser une étude par un expert comptable. Mais ces quatre semaines s’ajoutant aux autres délais liés d’éventuelles contre-OPA et autres surenchères, elles peuvent conduire à des offres qui s’éternisent ce qui n’est pas en phase avec la fugacité des marchés financiers.

L’avant-dernière offre de Global Resorts, à 21 euros par action, avait été déposée le 30 juin, donc avant la date de première application de la Loi Florange. Elle n’était donc pas soumise à l’avis du CE, même si Andrea Bonomi avait transmis un document d’une trentaine de pages aux représentants du personnel. A présent, l’AMF a considéré que l’offre déposée le 11 novembre, à 23 euros par Bonomi et KKR était un prolongement de la précédente, le CE du Club n’aura pas à se prononcer. C’est seulement à la fin des surenchères ( encore possibles tous les 12 jours) que le CE « repartira pour un tour ». Le nouveau projet devra être présenté aux salariés dans le délai d’une semaine et ils pourront exiger 3 semaines supplémentaires pour rendre leur avis. Le calendrier de l’OPA est donc parti pour s’allonger encore, alors que de nombreux actionnaires ont déjà perdu patience et cédé leurs titres en Bourse, au profit de fonds spéculatifs très motivés pour faire monter les enchères.

 A lire également :
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2. Le calendrier de l’interminable OPA sur le Club Med
3. L’horizon s’éclaircit pour les petits actionnaires du Club Med

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3 commentaires

  1. HOMM, le

    J’ai du mal a comprendre les politiciens,ils disent tous qu’ils sont là pour sauvegarder les valeurs, le savoir faire français,qu’ils préférent les partager plutôt que de les vendre, mais quand l’argent est sur la table, c’est oublié. Concernant le clubmed -parce que j’y travaille-, plus de 80% des salaries,connaissent le produit, connaissent les enjeux économiques et financiers, mais face à des rapaces financiers les politiques tournent le dos. Ne peut-on pas tenir compte des voix des salaries dans n’importe quelle société quand il y a un taux important de contre.
    Les politiques doivent apporter leurs soutiens publiquement.
    Je pense que soit un décret,ou une loi encadrant les futures OPA doit donner la parole aux salaries.
    Notre président au début de l’OPA disait que resterions français puis au fil de l’OPA, il a changé pour dire « le clubmed restera d’origine française ».
    Je suis en colère si j’avais le pouvoir de changer les choses je ferais un pied de nez à tout ces financiers

  2. Ap2E Jean Pierre Caldier, le

    Merci de cette analyse qui pourrait permettre aux inspirateurs de la loi et surtout à toutes les parties prenantes dans une telle situation ( reprise par OPA) de se « re »mettre ou pour certain se mettre autour d’une table pour co-élaborer des propositions pour améliorer les textes avec un seul objectif citoyen : le maintien à long terme de l’entreprise (notion inconnue en droit français), plutôt que la survie à court terme de la société ( notion juridique bien connue en droit français) ne prenant en compte qu’une partie prenante d’une entreprise : les actionnaires bien souvent seulement concernés par les plus-values à court terme et peu engagés économiquement à long terme dans l’entreprise donc vigilants notamment pour les questions sociales et environnementales : une entreprise citoyenne.
    JP Caldier Ap2E Agir pour une Economie Equitable

    • Marie-Jeanne Pasquette, le

      Merci de ce commentaire. Oui il y a des idées à creuser pour que tout aille plus vite aussi et il est regrettable que l’intérêt des salariés et celui des actionnaires ne soit pas en phase. Toutes les idées pour y parvenir sont bonnes à prendre. A vous de jouer.

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