Nouvel article de Marie-Jeanne Pasquette. La bataille boursière autour du Club Med va devenir un cas d’école.  Elle pose de sérieuses questions sur les conflits d’intérêts des dirigeants dans de telles opérations financières, la partialité des experts soi-disant indépendants, ou les modèles retenus pour estimer la valeur d’une société détenant une marque précieuse et des actifs rares. Explications.

Beautiful swimming pool in Club Med

Les dirigeants du Club Med espéraient que leur OPA ne fasse pas de vague, jusqu’à ce que des activistes se jettent à l’eau.

Que peuvent faire les minoritaires d’une société cotée, lorsque deux actionnaires détenant une part significative du capital et quelques sièges au conseil d’administration, décident de s’emparer de la firme avec la complicité de ses dirigeants, sans dédommager les minoritaires à la hauteur de leurs espérances ? C’est la question qui s’est posée aux actionnaires du Club Méditerranée. Sans l’intervention d’activistes poussés par des fonds d’investissement, l’offre publique d’achat (OPA) du chinois Fosun et d’Ardian sur le Club aurait pu mal tourner pour les minoritaires pris dans un véritable traquenard. D’autant que l’expert indépendant, Accuracy, chargé de donner son avis sur le prix, ne l’était pas tout à fait.

Pour les minoritaires du Club Med, l’affaire devrait se terminer mieux qu’elle n’a commencé, le prix d’OPA a déjà fait l’objet de deux surenchères. Reste que l’épisode houleux de la première offre, celle de Gaillon Invest (Ardian-Fosun) à 17,50 euros par action, mérite qu’on en tire quelques leçons.

1er conflit  d’intérêt : une information asymétrique (l’acheteur infiltré sait ce que les autres ne savent pas)

Bien avant l’officialisation de leur OPA, en 2013, ses deux actionnaires Fosun et Ardian disposaient de toutes les informations sur la société exposées par les dirigeants à l’occasion de chaque conseil d’administration, où ils siégeaient. Le tandem connaissait exactement les perspectives du Club Med et à quel moment le prix de l’action était le plus attractif, par rapport aux projets qui allaient être développés. Or, aucun autre acquéreur intéressé par le Club, et prêt à envisager une offre ou une contre-offre, ne pouvait disposer de ces informations. L’italien Bonomi, qui s’est lancé dans une surenchère sur le capital du Club Med en juin 2014, après mûre reflexion, a dénoncé en permanence cette asymétrie de l’information. Il a exigé de bénéficier des mêmes données que Fosun-Ardian, sans jamais être certain d’avoir tout obtenu. Ce problème qui se pose très souvent lors des OPA, n’est pas prêt d’être résolu, c’est pourquoi il faut éviter à tout prix d’autres conflits d’intérêts.

2ème conflit d’intérêt : un prix d’OPA au plancher qui fait l’affaire des dirigeants, au détriment des petits actionnaires

Henri Giscard d’Estaing, le PDG du Club Med, et son directeur financier, ont été invités à participer à l’OPA de Fosun avec la possibilité d’acquérir des actions du holding Gaillon Invest, c’est-à-dire l’acheteur. Leur intérêt personnel, comme celui des deux initiateurs, était donc à tout moment d’acquérir dans le cadre de l’OPA les actions au prix le plus faible possible. Naturellement, le PDG n’a donc cessé d’inviter les minoritaires à céder leurs actions à 17,50 euros en les apportant à l’offre de Gaillon Invest. Il satisfaisait ainsi ses propres intérêts, sans se soucier outre-mesure de celui des minoritaires qui pouvaient espérer une surenchère. On voit bien que lorsque les dirigeants sont parties prenantes à l’offre, leur enthousiasme à soutenir l’OPA amicale de l’initiateur est inversement proportionnel à l’intérêt des actionnaires minoritaires d’apporter leurs titres. Cette attitude est particulièrement choquante, elle a d’ailleurs suscité la colère et la suspicion des actionnaires réunis en assemblée générale en mai 2014. Pourquoi, à l’avenir, ne pas imposer par conséquent, un devoir de réserve aux managers qui sont intéressés à la réussite d’une OPA ? Certes, les dirigeants avaient bien déclaré leur conflit d’intérêt dans le document d’opération, soumis à l’agrément de l’AMF. Mais une telle déclaration formelle, si elle n’est pas rappelée quand les dirigeants appellent leurs actionnaires à accepter l’OPA, suffit-elle à rendre l’information publique de manière appropriée et efficace, au sens de l’article 632-1 alinéa 2 du règlement de l’AMF sur la « fausse information » ?

3ème conflit d’intérêt : la partialité des expertises soit-disant indépendantes dans le cadre des OPA

En théorie, les actionnaires ont le droit de bénéficier d’une « expertise indépendantes » pour se faire une opinion du prix proposé par les acheteurs dans le cadre d’une OPA. Dans le cas du Club Med, ses administrateurs indépendants (sans lien professionnel ni capitalistique avec l’entreprise) ont constitué un comité chargé d’organiser un appel d’offre d’experts prêts à fournir une opinion indépendante sur le prix de 17,50 euros par action offert en 2013 par le tandem Fosun-Ardian. C’était le fusible prévu par le régulateur pour protéger les minoritaires. Mais, là non plus, la protection des intérêts des minoritaires n’a pas bien fonctionné.  Le conseil a choisi le cabinet Accuracy, parce qu’il était le moins cher, un critère qui ne s’est pas révélé pertinent. D’autres organismes avaient proposé des prestations plus coûteuses, justifiées par le fait qu’ils prévoyaient, contrairement à Accuracy, de se rendre sur les sites du Club, parfois à l’autre bout du monde, pour les évaluer un à un. Un tel déploiement  aurait probablement mis en évidence la valeur exceptionnelle des sites de rêve du Club Med, laquelle n’était pas inclue dans un prix de 17,50 euros qui tenait compte essentiellement du rendement des installations. Dans les évaluations, l’Adam (Association de défense des actionnaires minoritaires, a aussi reproché à Accuracy de ne pas avoir pris en compte la valeur de la marque Club Méditerranée. Ce qui pose la question de l’adéquation des méthodes de valorisation d’une société possédant d’importants actifs incorporels.

L’autre grief de l’Adam a porté sur le fait que le cabinet d’audit n’était pas aussi indépendant qu’on voulait le faire croire. Accuracy avait déjà travaillé pour Ardian (anciennement dénommé Axa Private Equity) à plusieurs reprises. Accuracy réalisant moins de 0,8 % de son chiffre d’affaires avec Ardian, l’AMF n’a pas remis en cause l’indépendance de l’expert et a validé le mode de calcul du prix de 17,50 euros. Mais était-ce le bon critère pour apprécier l’impartialité de son expertise ?

De son côté, le conseil d’administration du Club Med a fait valoir qu’il y avait peu d’experts de l’envergure d’Accuracy en France, et qu’il était impossible de trouver des prestataires n’ayant jamais travaillé pour l’investisseur Ardian. Par la suite, le conseil du Club Med a tout de même montré qu’il pouvait faire mieux en choisissant deux autres experts indépendants, respectivement Associés en Finance pour l’offre de Bonomi à 21 euros, puis Bellot Mullenbach & Associés pour la deuxième offre de Fosun à 22 euros. Si l’AMF avait émis des doutes sur l’indépendance des critères d’évaluation retenus par Accuracy dès juin 2013, les recours de CIAM et de l’Adam, qui ont fait perdre beaucoup de temps dans le processus d’OPA, auraient peut-être pu être évités.

L’interminable OPA du Club Med, un feuilleton à suivre sur Deontofi.com :

  1. L’horizon s’éclaircit pour les petits actionnaires du Club Med !
  2. L’OPA au rabais sur le Club Med, minée par ses conflits d’intérêts
  3. Record de durée : le calendrier de l’interminable OPA sur le Club Med

 

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