Il est prouvé que les parachutes dorés et paquets de millions que s’octroient les patrons de multinationales n’ont aucune justification, à part leur pouvoir exorbitant de fixer eux-mêmes leur paye. On sait aussi que cette course aux millions attise la malhonnêteté de leurs bénéficiaires. Le scandale du pactole caché de l’ex-DG d’Alcatel, après ceux de Peugeot, Alstom et tant d’autres, illustre une nouvelle fois cette supercherie.

Comme tous les escrocs du Forex, et malgré les évidences de leurs impostures, le chameau nie. (photo © GPouzin)

Si le chameau nie, c’est aussi le cas de l’ex-DG d’Alcatel, Michel Combes, qui affirmait renoncer au parachute doré auquel il n’avait pas droit, tout en se faisant octroyer en douce un lot de consolation au moins aussi abusif, évalué à plus de 13 millions d’euros. (photo © GPouzin)

En racontant qu’il renonçait à un parachute doré auquel il n’avait pas droit, alors qu’il s’acharnait à récolter son paquet de millions en se faisant tailler une règle d’attribution sur mesure, l’ex-DG d’Alcatel-Lucent, Michel Combes, a menti à ses actionnaires et à la France entière, par l’entremise des médias qu’il manipulait sans vergogne. En dépit des efforts de propagande déployés par ses obligés pour faire croire le contraire, les mensonges de Michel Combes le suivent à la trace.

Comme elle l’avait fait pour les millions planqués de l’ex-PDG de Peugeot, Philippe Varin, nommé depuis à la tête d’Areva pour vendre le savoir-faire nucléaire français aux Chinois, Marie-Jeanne Pasquette a disséqué méticuleusement les faits et boniments de Michel Combes, au regard du paquet de millions qu’il s’est fait octroyer pour 26 mois au poste de DG d’Alcatel, avant de vendre cette star déchue des télécoms à son concurrent Nokia.

Son enquête publiée sur Minoritaires.com expose au moins trois gros mensonges publics de ce patron, recasé depuis à la tête de l’opérateur Numericable-SFR, dont le principal actionnaire a fait main-basse sur de nombreux médias.

Premier mensonge sur BFMTV le 22 avril 2015

Invité de notre consœur Hedwige Chevrillon pour lui vanter les mérites de la reprise d’Alcatel par Nokia qu’il vient d’orchestrer, Michel Combes affirme avoir renoncé à un parachute doré auquel il n’avait de toute façon pas droit, en dissimulant ouvertement le fait qu’il vient justement d’obtenir un changement de règles pour pouvoir en bénéficier quand même, malgré son insuffisante ancienneté.

Huit jours plus tôt, mardi 14 avril, la chance était à son comble chez les Combes. Le même jour, le DG d’Alcatel obtient la bénédiction d’Emmanuel Macron, ministre des finances, pour le rapprochement d’Alcatel avec Nokia qu’il vient de présenter à l’Elysée, en même temps que son conseil d’administration modifiait discrètement les conditions d’attribution des millions auxquels il n’aurait pas droit s’il quittait l’entreprise avant trois ans, ce qu’il s’apprête évidemment à faire.

Lorsqu’il dit renoncer à son parachute doré, le 22 avril, alors qu’il a obtenu un changement de règle huit jours avant pour en bénéficier contre vents et marées, l’ex-DG d’Alcatel ment éhontément à notre consœur, et à la France entière qui aimerait croire à la fiabilité des infos relayées par BFMTV.

Deuxième mensonge dans Les Echos le 1er septembre 2015

Interrogé dans Les Echos par nos confrères Fabienne Schmitt et Romain Gueugneau, au sujet du changement de règles orchestré en catimini pour lui permettre d’empocher les actions gratuites auxquelles il n’avait pas droit, l’ex-DG d’Alcatel leur répond sans sourciller que tout ce qui concerne sa rémunération « a été rendu public dès le premier jour ». Il affirme même que « tous ces éléments de rémunération ont été rendus publics en mai et présentés à l’assemblée générale des actionnaires », avant d’ajouter, en parfaite cohérence avec ces mensonges, qu’il y a donc eu « une transparence absolue ».

C’est effectivement une succession de mensonges. D’abord, l’ex-DG d’Alcatel est assez culotté pour affirmer que le changement de règles lui permettant d’empocher les actions auxquelles il n’avait pas droit « a été rendu public dès le premier jour », alors qu’il s’acharnait lui-même à le dissimuler huit jours après que son conseil d’administration lui ait accordé ce cadeau, en baladant les journalistes et auditeurs de BFMTV. En réalité, il a fallu attendre le 13 mai 2015, soit un mois, pour que cette décision soit publique, et encore, elle n’a été discrètement publiée dans un recoin du site web d’Alcatel-Lucent que peu avant l’AG du 26 mai 2015, mais sans que les actionnaires soient précisément informés en détail de ce qu’on allait leur faire voter. Côté « transparence absolue », c’est plutôt l’enfumage total !

Troisième mensonge aux actionnaires d’Alcatel-Lucent sur l’AG du 26 mai 2015

Ensuite, il faut être gonflé pour oser affirmer à un journal sérieux comme Les Echos que « tous ces éléments de rémunération ont été rendus publics en mai et présentés à l’assemblée générale des actionnaires », quand la chronologie des faits démontre que c’est manifestement faux. Concernant le cadeau du conseil d’administration du 14 avril, consistant à changer les règles pour que l’ex-DG empoche bien les actions gratuites auxquelles il n’avait initialement pas droit, cette décision n’est mentionnée ni dans la brochure de convocation à l’AG ni dans le document de référence d’Alcatel-Lucent censé contenir toutes les informations pertinentes pour cette assemblée. Seuls les actionnaires les plus attentifs présents lors de cette réunion en auront été informés en coup de vent, et sans qu’on leur explique bien sûr l’enjeu de ce bonneteau.

Pire. Concernant la prime de non concurrence de 4,5 millions d’euros supplémentaires, octroyée en dernière minute au DG d’Alcatel pour le consoler de ne pas avoir droit au gros lot sans tricher, elle n’a tout simplement jamais été « présentée à l’assemblée générale des actionnaires », puisqu’elle a été bricolée deux mois après cette AG, le 29 juillet, et n’a été rendue publique que cinq jours plus tard, le 3 août, sans doute grâce au rappel à l’ordre que lui a adressé le gendarme boursier le 31 juillet.

Quatrième mensonge dans le JDD le 19 avril 2015

Non content de balader les journalistes et lecteurs ou auditeurs de médias prestigieux comme Les Echos et BFMTV, l’ex-DG d’Alcatel avait aussi menti sans scrupule à nos confrères du Journal du Dimanche, comme le souligne le gendarme boursier lui-même. Dans son courrier de remontrances du 31 juillet, l’Autorité des marchés financiers (AMF) invite Michel Combes à corriger publiquement les fadaises qu’il a répandues dans les colonnes du JDD du 19 avril 2015. « Compte-tenu de votre déclaration reprise dans le JDD du 19 avril 2015, selon laquelle vous ne bénéficierez pas d’indemnités de départ, les conditions de performance n’étant pas réunies, et que vous ne toucherez aucune somme au titre des unités de performance (celles-ci représentant selon le JDD près de 9 millions d’euros), une rectification de l’information par voie de diffusion effective et intégrale aurait été nécessaire », lui rappelle le secrétaire général de l’AMF, Benoît de Juvigny.

En clair, l’ex-DG d’Alcatel a encore menti aux journalistes et lecteurs du JDD (le 19 avril) en leur disant qu’il ne s’apprêtait pas à toucher des millions auxquels il n’avait pas droit, alors qu’il venait justement d’obtenir un changement de règles pour s’arroger ce gros lot de consolation (le 14 avril). Ce n’est déjà pas joli, comme l’observe l’AMF. Mais ne pas corriger cette contrevérité une fois que les magouilles sont officialisées, cela relèverait carrément de la tromperie récidiviste.

L’information fausse ou trompeuse théoriquement sanctionnée

En Bourse, l’information et sa crédibilité sont une des clés fondamentale de la transparence des marchés et de l’équité de traitement des actionnaires. Les patrons peuvent mépriser la vérité en instrumentalisant les journalistes pour mentir au public en toute impunité, comme nous le dénonçons régulièrement. En revanche, la diffusion de fausse information ou d’information trompeuse est un délit.

La fausse information est définie à l’article 632-1 de l’AMF qui précise que « Toute personne doit s’abstenir de communiquer, ou de diffuser sciemment, des informations, quel que soit le support utilisé, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications inexactes, imprécises ou trompeuses sur des instruments financiers (…), alors que cette personne savait ou aurait dû savoir que les informations étaient inexactes ou trompeuses ».

Plus sévère que le règlement de l’AMF, l’article L465-2 du Code monétaire et financier prévoit dans certaines circonstances que « le fait de répandre ou de tenter de répandre dans le public par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation d’un émetteur ou de ses titres » peut exposer les tricheurs jusqu’à deux ans de prison et 1,5 million d’euros d’amende (ou jusqu’à dix fois le gain retiré de l’infraction).

Dans ce contexte, l’AMF poursuit son enquête. De son côté, la justice pénale a été saisie d’une plainte pour diffusion d’information fausse ou trompeuse et abus de biens sociaux, déposée le 1er septembre 2015 par Maître Frédérik-Karek Canoy, avocat défenseur des épargnants, pour le compte d’un actionnaire s’étant constitué partie civile dans cette affaire.

Mais qui a peur de ces lois jamais appliquées ? En France, même interdite et théoriquement lourdement sanctionnée, la diffusion d’informations trompeuses par des dirigeants de sociétés cotées ne les a jamais menés à la case prison. Personne ne croit sérieusement que cela puisse arriver.

Alors que les pactoles arrachés aux multinationales par leurs dirigeants éphémères s’apparentent de plus en plus à un pillage barbare, cette affaire n’est malheureusement qu’un épisode de plus dans une liste qui ne cesse de s’allonger.

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