En déclarant forfait face aux avocats des ex-dirigeants d’Altran, la décision du Tribunal de grande instance de Paris du 4 juin 2014 est un nouveau camouflet pour la déontologie financière. Commentaire sarcastique et désabusé par Deontofi.com.

En égarant les juges d'instruction dans le maquis de leurs embrouilles, les magouilleurs d'Altran ont infligé un camouflet à la justice, contrainte de reprendre son procès à zéro ! (photo © AnSuzuki)

En égarant les juges d’instruction dans le maquis de leurs embrouilles, les magouilleurs d’Altran ont infligé un camouflet à la justice, contrainte de reprendre son procès à zéro ! (photo © AnSuzuki)

Ils ont triché, menti, trafiqué les comptes d’Altran de façon éhontée, et réussi à mettre la justice en échec, dans sa vaine tentative de les poursuivre. Les ex-dirigeants magouilleurs d’Altran viennent de remporter une victoire monstrueuse face à leurs victimes et à la société toute entière, en clouant le bec au tribunal correctionnel, ou plus précisément en contraignant les juges du siège (ceux qui condamnent ou relaxent) à dénoncer l’incapacité des juges d’instruction de cette affaire à la rendre justiciable.

Dans leur verdict prononcé le 4 juin 2014, les juges n’ont pu que s’incliner, face aux arguments bien affutés des avocats de la défense. En gros, voici la logique imposée au tribunal par ces ténors du barreau : puisque les accusés sont parvenus à si bien embrouiller les comptes, avec une virtuosité de manipulation laissant peu de traces de leur culpabilité, et surtout avec une opacité rendant impossible la délimitation et le chiffrage exact de leurs délits par les magistrats instructeurs, l’accusation insuffisamment précise bafouerait le droit des malhonnêtes citoyens à un procès équitable. Conclusion : on ne peut pas les juger avant de reprendre l’enquête à zéro !

Douze ans après la révélation de ce scandale comptable à la Enron, et une quinzaine d’année après les faits condamnables (non prescrits), il faut recommencer l’instruction, établir une nouvelle ordonnance de renvoi (l’acte juridique dans lequel le juge d’instruction liste précisément les délits reprochés aux accusés), et attendre un nouveau procès de première instance, qui serait évidemment suivi d’un procès en appel et d’un recours devant la Cour de cassation, permettant à la justice de faire enfin émerger la vérité et condamner les coupables de cette escroquerie boursière à grande échelle.

Ne faut-il pas être d’une grande naïveté pour imaginer que cela puisse arriver un jour ? Qui peut croire, aujourd’hui, que la justice sera capable de sanctionner les magouilleurs d’Altran en reprenant leur procès à zéro treize ans après les faits ? Sur le plan de la déontologie financière, la fourberie remporte à nouveau une grande victoire sur l’honnêteté. Avec un peu de chance, les coupables auront le temps de mourir avant d’être rejugés et condamnés, comme le sénateur René Teulade avant le verdict de son procès pour abus de confiance dans la faillite du complément de retraite des fonctionnaires (Cref), préférant s’en remettre au jugement dernier plutôt qu’à celui du peuple.

Comme le clament régulièrement les avocats des fripouilles à leurs procès, et loin de nous l’intention de les critiquer car c’est bien leur métier : « on est ici pour faire du droit, pas de la morale » ! Pour ceux que le droit intéresse [nous savons qu’ils sont nombreux parmi les lecteurs de Deontofi.com], il faut absolument lire les attendus du jugement rendu le 4 juin 2014 par le Tribunal correctionnel dans l’affaire Altran. Un régal ! Presque surréaliste quand on l’observe avec un peu de distance et de second degré. En tous cas, « Ce jugement sonne comme une claque d’une rare violence », comme l’explique avec beaucoup de pédagogie notre confrère Jean-Baptiste Jacquin, dans Le Monde. Lisez son excellent article « Affaire Altran : la justice en procès ».

Pour la morale, cherchez ailleurs. Le respect des droits de la défense et le bon fonctionnement de la justice sont certainement des gages d’un bon fonctionnement de l’Etat de droit, garant de la démocratie. Mais la crédibilité de la justice vis-à-vis de la société n’est pas moins importante. On aura beau leur expliquer tout ce qu’on veut, les citoyens ordinaires auront du mal à croire que nos institutions sont déterminées à sanctionner la criminalité financière.

Pour mémoire, aux Etats-Unis l’escroc Bernard Madoff a été arrêté le 12 décembre 2008, jugé en six mois et condamné à 150 ans de prison par un verdict du 29 juin 2009. Quant au scandale Enron, aux ramifications non moins complexes que celles d’Altran, les faits ont été révélés en octobre 2001 et le PDG d’Enron jugé et condamné à 24 ans de prison ferme par un verdict du 25 mai 2006 (4 ans et 7 mois de délai entre les faits et leur condamnation). Même si sa sentence à été réduite en 2013 à 14 ans de prison en guise de transaction mettant fin aux procédures d’appel, on a tout de même l’impression que les fraudes boursières ne bénéficient pas de la même impunité aux Etats-Unis qu’en France.

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