Décriée par les banques mais soutenue par une large part de l’opinion publique, la taxe sur les transactions financières (TTF) présente plus d’atouts que d’inconvénients, selon une récente étude académique.
Contrairement aux idées fausses, la taxe sur les transactions financières est un impôt aussi efficace qu'indolore. (photo © GPouzin)

Contrairement aux idées fausses, la taxe sur les transactions financières est un impôt aussi efficace qu’indolore. (photo © GPouzin)

Taxer les transactions financières est une vieille utopie qui faisait sourire les banquiers tant qu’ils la savaient irréalisable, compte tenu de l’absence de coordination internationale face à la capacité de délocalisation de ces transactions : «Presque quatre-vingts ans après la proposition de John Maynard Keynes de taxer les transactions à Wall Street, quarante ans après celle de James Tobin de placer quelques grains de sables dans les rouages trop bien huilés de la finance mondiale, l’idée de taxer les transactions financières n’a jamais autant été d’actualité», observe néanmoins Gunther Capelle-Blancard, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directeur adjoint du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), dans une note faisant la synthèse des dernières études académiques sur ce thème.

Au-delà des effets d’annonce des dirigeants politiques («taxer la finance est moral») et des menaces de représailles à peine dissimulées des banques («taxer la finance pèserait sur la croissance et l’emploi»), en quoi une taxe sur les transactions financières peut-elle être bonne ou mauvaise pour les pays qui l’appliquent ? Et comment le mesurer ? «Chez les universitaires, les controverses sont aussi très fortes», rappelle Gunther Capelle-Blancard. L’argument le plus fort des opposants à la taxation est qu’elle augmente le coût des transactions et risque de nuire à la liquidité des marchés, tout en faisant grimper la volatilité.

Un premier débat porte sur cette éventuelle relation de cause à effet : il est prouvé que les marchés peu liquides sont volatils, mais à l’inverse, l’augmentation de la liquidité ne réduit pas forcément la volatilité, comme le montre l’histoire récente : «Les volumes de transactions sur les marchés boursiers ont été multipliés par 20 environ en vingt ans, énonce le professeur. Dans le même temps, les montants notionnels traités sur les marchés dérivés ont été multipliés par 150.» Quant aux opérations dites à très haute fréquence (ordres passés par des ordinateurs capables d’acheter et revendre en quelques millièmes de secondes), elles représentent 70% des transactions sur actions et peuvent «provoquer de brusques variations de prix». Les investisseurs concluent «trop de transactions», résume le directeur adjoint du Cepii, en s’appuyant sur les travaux de l’Américain Terrance Odean («Do investors trade too much ?» – 1999). Et en définitive, le lien entre la liquidité et la volatilité dépend surtout de la rationalité des intervenants.

Pour évaluer les atouts et inconvénients d’une taxe sur les transactions financières, il faut mesurer son impact. Seul problème, ces observations sont polluées par d’autres facteurs pouvant influencer les marchés, avant et après l’application de la TTF. De ce point de vue, la France est un laboratoire idéal, car l’introduction de la TTF depuis août 2012 permet de comparer la situation avant/après, mais aussi le comportement de titres taxés et non taxés aux caractéristiques par ailleurs très proches. En effet, la taxe de 0,2% s’applique sur les achats et ventes d’actions de sociétés ayant leur siège en France dont la valeur boursière (capitalisation) dépasse 1 milliard d’euros. Cela concerne 59 valeurs de l’indice Euronext 100, les 41 autres ayant leur siège à l’étranger (Belgique, Pays-Bas…), ainsi que 30 valeurs de l’indice Euronext 150, les autres sociétés de cet indice étant soit trop petites (49 valeurs), soit étrangères (71 valeurs).

Sur la base de ces cinq groupes (deux échantillons de valeurs françaises soumises à la TTF et trois échantillons d’actions françaises ou étrangères échappant à la TTF), Gunther Capelle-Blancard multiplie les comparaisons statistiques, un domaine qu’il maîtrise en tant que président de la commission Système financier et financement de l’économie, au Conseil national de l’information statistique (Cnis). Conclusion ? «La TTF ne semble pas avoir affecté la capacité de résilience du marché : il n’y a aucun effet significatif sur le ratio de liquidité.» Une déception pour les forces en présence, car «les uns espèrent réduire l’instabilité des marchés en décourageant la spéculation, tandis que les autres s’y opposent redoutant une hausse de la volatilité», ironise l’économiste. Plus sérieusement, il voit dans l’absence d’effet de la TTF sur les marchés un atout «particulièrement appréciable dans l’objectif d’une taxe classique que l’on souhaite non-distorsive».

Au-delà de sa neutralité pour la volatilité et la liquidité, la TTF européenne aurait un autre atout immense, son «coût de collecte particulièrement faible» et d’une remarquable efficacité. Alors que les gouvernements de nombreux pays sont confrontés au coût élevé de recouvrement des impôts et à la fraude fiscale, Gunther Capelle-Blancard rappelle qu’en Grande-Bretagne, le coût de collecte du droit de timbre sur les transactions boursières est de seulement 0,02%, «soit 75 fois moins élevé que pour l’impôt sur le revenu».

Enfin, «la manne est potentiellement très importante», rappelle-t-il. La TTF ou ses équivalents représente entre 1,5 et 2,5% des recettes fiscales de la Suisse, 0,5 à 1% pour la Finlande, 0,5 à 1,5% de celles de la Grande-Bretagne (opposée à la TTF pour les autres mais pas pour elle), et jusqu’à 6% pour Taiwan. Si l’on considère, par ailleurs, le succès de ces places financières, «taxer les transactions financières n’est peut-être pas une si mauvaise idée», conclut le directeur adjoint du Cepii. D’autant qu’elle pourrait rapporter de 30 à 35 milliards d’euros par an aux onze pays européens qui s’y préparent.

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