En accordant la primauté au secret des affaires par rapport au droit d’informer, la transposition française de la directive européenne risque de favoriser davantage les procès abusifs pour bâillonner l’information. (photo © GPouzin)

Deux ans avant son élection à la présidence de la République, Emmanuel Macron avait montré sa préférence pour le secret des affaires au détriment du droit à l’information des citoyens, rempart de la démocratie contre l’obscurantisme des affaires louches, fraudes et corruptions. Malheureusement la tendance ne semble pas très favorable à l’amélioration de la transparence au sein des grandes puissances mondiales. La proposition de loi sur la transposition de la directive « Secret des affaires » (directive 2016/943/UE du 8 juin 2016), déposée à l’Assemblée nationale le 19 février 2018 par les députés de la majorité présidentielle, dont Richard Ferrand, lui-même mouillé dans une affaire de prise d’intérêts et d’enrichissement personnel par abus de ses mandats mutualistes, relance la chasse aux lanceurs d’alerte et aux articles d’investigation, pour mieux protéger les affaires louches.

La Loi Macron voulait que le secret des affaires étouffe la liberté d'informer

Deontofi.com reproduit ci-dessous le communiqué publié le 19 mars 2018 par le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil.org)

Le projet de texte visant à transposer en droit national la directive européenne dite secret des affaires fragilise le droit du citoyen à être informé et la liberté d’expression. 

Le Spiil regrette que la primauté du droit à être informé sur le droit aux secrets ne soit pas exprimée avec suffisamment de clarté dans la proposition de loi. Là où le législateur français considère la liberté d’expression comme une “dérogation”, le texte européen, lui, affirme sans ambiguïté et dès son premier article cette primauté.

Ce manque de clarté crée un risque majeur, celui d’une multiplication des procédures contentieuses. Les éditeurs de presse, souvent de très petites tailles, n’ont pas les moyens de soutenir des procédures abusives. Or certains acteurs économiques sont friands de ces “procès-bâillon”. Cette confusion risque donc de générer un comportement d’auto-censure, préjudiciable à notre démocratie.

Si l’enjeu de ce texte est bien de veiller à l’équilibre entre deux droits, celui d’informer et celui de maintenir des secrets pour les entreprises, alors le Spiil demande au législateur et aux pouvoirs publics de tenir compte de celui fondamental qu’est la liberté d’expression telle que consacrée par la loi du 29 juillet 1881 en l’inscrivant nommément dans le texte de loi.

Dans notre démocratie, c’est cette loi qui organise l’équilibre entre les garanties individuelles et la protection des libertés fondamentales. Le texte de loi présenté par le législateur vient fragiliser cet équilibre. Nous rappelons que la loi de 1881 encadre la responsabilité des éditeurs de presse. Elle présente les garanties nécessaires pour permettre au juge de bien apprécier, notamment, la valeur d’intérêt général des informations révélées.

Ce texte risque d’accélérer une dynamique regrettable, celle du contournement du droit de la presse par le droit commercial. La récente “affaire Challenges” en est un triste exemple. Pour rappel, l’hebdomadaire, assigné devant le Tribunal de commerce de Paris par l’entreprise Conforama dont il a révélé les difficultés économiques, a été condamné à retirer l’article de son site et à ne plus publier d’article sur le sujet. Au nom de la liberté d’informer, il a fait appel.  En 2014, TourMaG, site de presse spécialisé dans l’actualité économique du secteur du tourisme, avait été condamné pour avoir publié des informations économiques et sociales incontestées concernant TUI, un opérateur économique majeur de ce secteur. Pour la première chambre civile de la Cour de cassation, il s’agissait d’une violation du Code du travail et de la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

C’est pourquoi, le Spiil demande au législateur :

  • de consacrer explicitement la primauté de la liberté de la presse, telle que définie par la loi de 1881, sur le secret des affaires, et ceci dès les premiers articles ;
  • de faire référence au secret des sources ;
  • de mettre en place un dispositif ex-ante pour prévenir les procédures abusives se revendiquant du secret des affaires.

Le Conseil d’Etat, dans son avis rendu jeudi 15 mars dernier, rejoint ces préoccupations en indiquant “qu’il conviendrait de mentionner au nombre des cas licites, et non parmi les dérogations, l’hypothèse de l’obtention d’un secret des affaires dans le cadre de l’exercice du droit à l’information (…)”.

Le Spiil regrette également que ce projet de texte fasse l’objet d’une procédure accélérée, empêchant un débat serein, alors que le calendrier de transposition de la directive était connu depuis son vote en 2016.

Heureusement, certains tribunaux demeurent vigilants face aux tentatives de contournement du droit de la presse pour tenter de censurer des informations utiles au public.

Alors que la société de communication bulgare Netandlaw multiplie les poursuites abusives contre l’organe de presse Deontofi.com, pour tenter de censurer ses articles et des commentaires de lecteurs concernant son site Warning-Trading, la justice a rappelé par deux fois que ses contestation ne peuvent relever que du droit de la presse. Après un premier échec de ses procédures abusives devant le Tribunal de commerce le 3 novembre 2016, la société Netandlaw et son fondateur M. Nicolas Gaiardo ont subi un nouveau revers par une décision du juge des référés du TGI de Paris déclarant la nullité de son assignation, par une ordonnance du 6 février 2018.

Deontofi.com reviendra sur les détails de cette décision en complément de son compte-rendu d’audience ici.

Mise à jour du 21 mars 2018 : Deontofi.com complète cet article en reproduisant ci-dessous le texte et le lien vers une pétition contre

Faites comme nous, SIGNEZ la pétition ICI

La loi sur le secret des affaires est un danger pour nos libertés fondamentales

L’Assemblée nationale et le Sénat s’apprêtent à remettre en cause nos libertés fondamentales en votant, via une procédure accélérée, une proposition de loi portant sur le secret des affaires.

Ce texte, qui sera étudié en séance publique à l’Assemblée nationale le 27 mars 2018 et qui porte sur « la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites », est la transposition d’une directive européenne adoptée en 2016 malgré les mises en garde des ONG, des syndicats, des journalistes, des chercheurs et l’opposition massive des citoyens. Cette directive a été élaborée par les lobbies des multinationales et des banques d’affaires qui souhaitaient un droit plus protecteur pour leurs secrets de fabrication et leurs projets stratégiques, alors que le vol de documents et la propriété intellectuelle sont déjà encadrés par la loi.

La France dispose de marges de manœuvre importantes pour la transposition de la directive dans notre droit national, et peut préserver les libertés tout en respectant le droit européen. Pourtant, le gouvernement et la majorité semblent avoir choisi, en catimini, de retenir une option remettant gravement en cause l’intérêt général et le droit des citoyens à l’information. La proposition de loi sur le secret des affaires a des implications juridiques, sociales, environnementales et sanitaires graves. De fait, ce texte pourrait verrouiller l’information à la fois sur les pratiques et les produits commercialisés par les entreprises.

En effet, la définition des « secrets d’affaires » est si vaste que n’importe quelle information interne à une entreprise peut désormais être classée dans cette catégorie. L’infraction au secret des affaires aurait lieu dès lors que ces informations seraient obtenues ou diffusées et leur divulgation serait passible de sanctions pénales. Les dérogations instituées par le texte sont trop faibles pour garantir l’exercice des libertés fondamentales. Des scandales comme celui du médiator ou du bisphénol A, ou des affaires comme les Panama Papers ou LuxLeaks pourraient ne plus être portés à la connaissance des citoyens.

Qu’il s’agisse d’informations sur les pratiques fiscales des entreprises, de données d’intérêt général relatives à la santé publique ou liées à la protection de l’environnement et à la santé des consommateurs, les journalistes, les scientifiques, les syndicats, les ONG ou les lanceurs d’alertes qui s’aventureraient à rendre publiques de telles informations s’exposeraient à une procédure judiciaire longue et coûteuse, que la plupart d’entre eux seraient incapables d’assumer face aux moyens dont disposent les multinationales et les banques. C’est là le pouvoir de cette loi : devenir une arme de dissuasion massive.

Pour les téméraires qui briseront cette loi du silence, on peut toujours espérer que les tribunaux feront primer la liberté d’expression et d’informer. La récente affaire Conforama indique plutôt le contraire. Les soi-disant garanties proposées par le gouvernement français ne couvrent pas tous les domaines de la société civile et notamment le travail des associations environnementales. Ces dérogations ne sont qu’un piètre hommage aux grands principes de la liberté d’informer. Elles ne vaudront pas grand-chose devant une juridiction armée d’un nouveau droit érigeant le secret des affaires en principe, et la révélation d’informations d’intérêt public en exception.

Cette offensive sans précédent sur notre droit à l’information est un enjeu démocratique majeur qui est en train de mobiliser l’ensemble de la société civile, comme le montre le succès de la pétition dans ce sens. Lanceurs d’alertes, syndicats, ONG, journalistes, avocats, chercheurs et citoyens : nous nous opposerons à l’adoption en l’état de cette loi. Le droit à l’information et l’intérêt des citoyens ne sauraient être restreints au profit du secret des affaires.

(Tribune publiée dans l’édition du Monde du mercredi 21 mars 2018)

SIGNATAIRES

Aiquel Pablo, journaliste, SNJ-CGT
Alt Éric, vice-Président de l’association ANTICOR
Apel-Muller Patrick, directeur de la rédaction de l’Humanité
Beynel Eric, porte-parole de l’union syndicale Solidaires
Binet Sophie, Secrétaire générale adjointe de l’UGICT CGT
Borrel Thomas, porte-parole de Survie
Cellier Dominique, président de Sciences Citoyennes
Compain Florent, Président Les Amis de la Terre France
Cossart Sandra, Directrice de Sherpa
Deltour Antoine, lanceur d’alertes Luxleaks
Dr Arazi Marc, lanceur d’alerte du Phonegate
Dupré Mathilde, Présidente du Forum citoyen pour la RSE
Du Roy Ivan, journaliste, co-rédacteur en chef de Basta!
Julliard Jean-François, directeur-exécutif de Greenpeace France
Kalinowski Wojtek, Co-Directeur de l’Institut Veblen
Ingrid Kragl, directrice de l’information, Foodwatch
Kotlicki Marie-José, secrétaire générale de l’UGICT CGT
Lepers Elliot, Directeur de l’ONG “Le Mouvement”
Lucet Élise, journaliste
Merckaert Jean, rédacteur en chef de la Revue Projet
Monfort Patrick, Secrétaire général du SNCS-FSU
Kamenka Patrick, journaliste, SNJ-CGT
Perrin Edouard, journaliste, Président du Collectif “Informer N’est Pas un Délit”
Peres Eric, Secretaire général de FO Cadres
Petitjean Olivier, journaliste, coordinateur de l’Observatoire des multinationales.
Plihon Dominique, économiste, porte-parole d’Attac
Potier Julie, Directrice de BIO CONSOM’ACTEURS
Poilane Emmanuel, Directeur Général de France Libertés et Président du CRID
Raffin Patrick, photographe
Ramaux Christophe, économiste à l’Université Paris 1, membre des Economistes atterrés
Remy Clément, Président de l’ONG POLLINIS
Roques Laurence, Présidente du Syndicat des avocats de France
Rousseaux Agnès, journaliste, co-rédactrice en chef de Basta!
Salamand Bernard, Ritimo
Thibaud Clément, président de l’Association des Historiens Contemporanéistes de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche
Trouvé Aurélie, porte parole d’ATTAC
Vire Emmanuel, Secrétaire général du Syndicat national des Journalistes CGT (SNJ-CGT)

Et aussi :

CrimHalt, Collectif On ne se taira pas !, Alternatives Economiques, La Télé Libre, Ingénieurs Sans Frontières-AgriSTA, Fédération CGT des finances

Et :

La Société des journalistes des Échos, La Société des rédacteurs du Monde, La Société des journalistes de TV5 Monde, La Société des journalistes du Point, La Société des journalistes de France 2, La Société des journalistes et du personnel de Libération, La Société des journalistes de BFMTV, La Société des journalistes de Premières Lignes, La Société des journalistes de Challenges, La Société des journalistes de RMC, La Société des journalistes de Mediapart, La Société des journalistes de Télérama, La Société des personnels de l’Humanité, La Société des journalistes du JDD

Sans oublier Déontologie

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