Sur le fond, le jugement commente longuement les passages critiques des articles de Que Choisir que Gérard Lhéritier voulait faire censurer par la justice sous prétexte qu’ils nuisaient à la réputation de ses affaires. On peut le comprendre, car l’entourloupe des pseudo-placements en lettres et manuscrits ne pouvait prospérer qu’en entretenant l’ignorance de ses victimes. Heureusement, les juges ont vite fait le tri en rappelant quelques principes salutaires.

Si des présentations trompeuses ont pu induire des épargnants en erreur, quant à la rentabilité illusoire des pseudo-placements en lettres et manuscrits, Aristophil a toujours admis officiellement qu'ils n'offraient "aucune garantie de rendement", ni aucune assurance de remboursement. (photo © GPouzin)

Si des présentations trompeuses ont pu induire des épargnants en erreur, quant à la rentabilité illusoire des pseudo-placements en lettres et manuscrits, Aristophil a toujours admis officiellement qu’ils n’offraient « aucune garantie de rendement », ni aucune assurance de remboursement. (photo © GPouzin)

« Ni l’inexactitude des propos ni leur caractère désobligeant ne suffisent à caractériser la diffamation », expliquent les juges saisis par Aristophil et son PDG, Gérard Lhéritier, pour réclamer la condamnation d’un article de Que Choisir (*). De même que « l’appréciation de l’atteinte portée à l’honneur ou à la considération de la personne visée doit se faire indépendamment (…) de la sensibilité de la personne visée ou sa conception subjective de l’honneur et de la considération, mais au regard de considérations objectives d’où s’évincerait une réprobation générale ».

A l’aune de ces principes, le tribunal juge que «contrairement à ce que soutient la demanderesse, le passage poursuivi figurant dans l’article “Aristophil suspectée d’escroquerie et de blanchiment” ne lui impute pas de rémunérer les investissements de ses clients par les fonds apportés par les nouveaux entrants, mais formule une critique vive, voire virulente, de cet investissement jugé risqué, de l’évolution du cours des manuscrits vantée par cette société, et que les spécialistes en manuscrits et en placements financiers estiment “extravagants”, et que l’article qualifie de “bulle [qui] risque d’exploser”».

En clair : on a bien le droit de penser et d’écrire qu’une bulle spéculative risque d’exploser. Comme le précise ce jugement du 25 mars 2011: «le terme de “bulle” ne fait pas nécessairement référence à un mécanisme frauduleux surtout si, comme en l’espèce, l’explosion de ladite “bulle” est présentée, non pas comme une certitude mais comme un “risque” ; ainsi ces propos incriminés constituent une appréciation, certes critique mais subjective, sur l’évolution du marché des manuscrits, appréciation qui n’est pas susceptible de faire l’objet d’un débat sur la preuve de sa vérité ». On aurait aimé que l’Autorité des marchés financiers partage cette conception de la liberté d’expression plutôt que de sanctionner un analyste s’inquiétant légitimement du risque d’insolvabilité de la Société générale en 2008. Mais revenons à nos manuscrits.

Le juge refuse de se laisser enfermer dans un débat d’expert ne menant nulle part et il le dit : « même si le tribunal a pu entendre lors de l’audience des témoins, spécialistes de ces questions, exprimant sur ce point des opinions divergentes, [ce] n’étaient que des opinions ».

La justice lève le voile sur les méthodes d’Aristophil

De même, le journaliste avait le droit d’écrire Aristophil entretiendrait artificiellement une hausse de la valorisation des manuscrits, en faisant monter les enchères sur ce marché très étroit.”, le tribunal estimant que « ce fait est insuffisamment précis pour recevoir la qualification prévue par l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, puisque cette référence au caractère artificiel de l’entretien de la hausse des cours est suivie du constat de l’étroitesse du marché, le lecteur comprenant que c’est cette dernière circonstance combinée à l’intervention de la société demanderesse qui provoque la valorisation des cours ».

Cette analyse est particulièrement intéressante, puisqu’elle s’appliquerait aussi bien à la valorisation de nombreuses start-ups d’Alternext, entretenue artificiellement par certains gérants de capital risque qui font grimper leurs cours sur ce marché très étroit, en vantant leurs perspectives de façon totalement irréaliste, pour augmenter leurs commissions et revendre plus facilement ces titres aux épargnants. Nous y reviendrons.

Pour que ce soit clair, le tribunal juge que «dans ces conditions, les interrogation formulées, l’expression de doutes sur la “transparence”, la “valeur réelle des parts”, le jugement porté sur l’ambiguïté des conventions proposées par ARISTOPHIL (…) l’appréciation de l’évolution des cours, même si est citée l’opinion selon [laquelle] l’évolution des cours (…) n’est pas “honnête” , ne constituent que l’expression d’opinions subjectives, de jugements de valeur, d’interrogations et mises en garde qui sont insuffisamment précises pour pouvoir faire l’objet, sans difficulté, d’un débat sur la preuve de leur vérité et n’excèdent pas les limites de la liberté d’expression».

En clair, tant qu’Aristophil ne peut pas prouver que l’opinion de Que Choisir est autre chose qu’une opinion, sur des points relevant d’une vérité factuelle discutable (la justesse d’une valorisation), cette opinion relève de la liberté d’expression. Là aussi, cette analyse est intéressante car elle est parfaitement applicable à de nombreux sujets financiers sur lesquels certains décideurs économiques tentent d’imposer les visions qui les arrangent, en censurant les opinions contraires à leurs intérêts.

«Par ces motifs», comme le veut la formule consacrée dans laquelle le tribunal tranche les débats en réponse au litige dont il est saisi, le jugement déclare définitivement « qu’aucun des propos poursuivis par la société ARISTOPHIL n’est diffamatoire à son encontre ».

(*) Jugement du TGI de Paris du 25/03/2013, enregistré au registre général N° RG 13/00538

Toute la saga d’Aristophil sur Deontofi.com

4 minutes pour comprendre :
Voir l’interview vidéo de Deontofi.com sur Boursorama dans l’émission Écorama du 2/2/2015.

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