Au procès en appel du sénateur-maire René Teulade et des autres ex-dirigeants du Cref poursuivis pour abus de confiance dans le cadre de la faillite du complément de retraite des enseignants et fonctionnaires, l’audience du 4 décembre 2013 était consacrée à l’examen des avantages financiers que s’accordaient ces militants bénévoles. (Tous les articles sur l’affaire Cref ici)

L'évocation des sommes détournées par les dirigeants du Cref, au temps des francs, donne à leur procès un côté désuet. Ici des victimes et leurs avocats : Yann Le Bras, Nicolas Lecoq-Vallon et Stéphane Bonifassi. (photo © GPouzin)

L’évocation des sommes détournées par les dirigeants du Cref, au temps des francs, donne à leur procès un côté désuet. Ici des victimes et leurs avocats : Yann Le Bras, Nicolas Lecoq-Vallon et Stéphane Bonifassi. (photo © GPouzin)

La première singularité qui surprend l’auditeur de ce procès, est qu’il nous projette dans l’ancien temps des francs. Les faits remontent au début des années 1990, ont été découverts à la fin du siècle dernier, et poursuivis au début de notre millénaire. Pour la première fois depuis des années, on assiste à l’étrange déballage de chiffres dans une monnaie qui n’existe plus, le franc français. Ajouté à l’accent chatoyant des instituteurs au cœur de l’affaire, la plupart d’un âge avancé, l’ensemble donne à la scène un petit côté désuet, un peu comme dans un film en noir et blanc dont surgiraient Peppone et Don Camillo, le maire aux engagements pas très clairs et sa bonne conscience en robe noire.

Sauf qu’on est dans la vraie vie. Même en sépia, les faits sont là. Pendant une dizaine d’années au moins, les dirigeants du Cref se sont accordés toutes sortes d’avantages et d’indemnités sur le dos de la mutuelle UNMrifen-FP qui gérait l’argent du Cref. Dans le cas du sénateur-maire d’Argentat, on note par exemple 25 878 francs (soit 3945,08 euros) par mois à titre d’indemnités de sujétion, 19 200 francs (soit 2927,02 euros) à titre d’indemnités de représentation et encore 86 850 francs (soit 13 240 euro) à titre d’indemnités de mission conseil ; puis encore 152 838 francs (soit 23 300 euros) et 15 592 francs (soit 2 376 euros) pour des indemnités mission conseil, respectivement en 1999 et 2000. On retrouve à peu près des montants comparables pour son trésorier, Monsieur Fleurotte : 25 878 francs (soit 3945,08 euros) à titre d’indemnités de sujétion à compter de 1998, 19 200 francs (soit 2927,02 euros) à titre d’indemnités de représentation; 86 850 francs (soit 13 240 euro) à titre d’indemnités de mission conseil; puis respectivement 152 838 francs (soit 23 300 euros) et 15 592 francs (soit 2 376 euros) pour 1999 et 2000 au titre d indemnités de mission conseil.

Pour éclaircir la cour sur la nature de ces indemnités, la présidente a recueilli les explications des prévenus : il s’agissait d’une sorte de compensation aux avancements de carrière auxquels ils renonçaient en quittant leur poste d’enseignant quand ils devenaient « militants » de la mutuelle.

– Vous expliquez que les indemnités compensent le déroulement de carrière, interroge l’avocat général, Maître Dominique Gaillardot. Pourquoi est-ce à la mutuelle de compenser l’évolution de carrière ?

– Parce que par le texte de mise à disposition c’était possible, explique Jean-Louis Vaucoret, qui avait été intronisé président du Cref pour succéder à René Teulade.

– Vous avez dit à un moment que d’accepter cette indemnité vous posait une question morale, note Maître Stéphane Bonifassi, un des avocats des parties civiles.

–         Oui, tout à fait. Quand je suis venu sur Paris je savais que j’abandonnais des choses localement, j’avais un frère handicapé… Le bureau me demande de venir épauler Mr Faure, c’est un acte militant.

–         Qu’est-ce qu’une mutuelle pour vous ?

–         C’est un engagement de solidarité qui permet de faire avancer le progrès social.

–         Qui décidait de cette indemnité ?

–   C’était le bureau jusqu’en 1992, puis le conseil d’administration. Il est vrai qu’au regard de l’article 125-5 du Code de la mutualité, l’assemblée générale n’a pas été saisie.

–         Vous dites que c’est un sacrifice de carrière militant d’accepter cette mise à disposition, pourquoi vous ne l’avez pas expliqué ?

–         Je viens de le faire.

–         Est-ce que vous vous souvenez des réponses que vous faisiez en première instance et lors des comparutions ? Vous disiez que « peut-être par rapport au bénévolat il y avait certaine crainte de communiquer sur les éléments matériels ».

–         Je confirme avoir dit ça.

–         Donc…

–      Non, interrompt la présidente. Il a répondu, le reste c’est de l’interprétation.

La présidente Catherine Dalloz poursuit le débat en citant des extraits d’une confrontation organisée par le juge d’instruction en juin 2001 avec messieurs Teulade et Teulé-Sansacq et des parties civiles, dont un enseignant qui indique avoir été mis à disposition de la mutuelle Mnef en 1986, ce qui lui avait fait perdre de l’argent car il ne touchait plus ses primes d’enseignant et n’avait pas les avantages mis en place au Cref. A propos de l’accès à ces informations, une autre adhérente indique avoir voulu rencontrer le président départemental qu’elle connaissait et qui n’a pas voulu la recevoir. « Je me suis rendue au siège à Paris en novembre 2000 où j’ai été reçue par un salarié, explique-t-elle. J’ai eu le sentiment qu’il récitait des formules toutes faites. Ce qui m’a choquée c’est la totale non transparence des chiffres dans la mutuelle ».

Après des réponses un peu embrouillées de messieurs Fleurotte et Durand, Mr Vaucoret donne sa version :

–         Avec Yves Durand et Jacques Fleurotte nous avons rencontré un représentant du ministre pour lui dire que nous avions un système indemnitaire qui ne convenait pas. Nous avons proposé un autre texte. Il nous a fait des remarques sur nos modifications puis nous n’avons jamais eu de réponse.

–         Pourquoi avoir signé cette convention si elle ne donnait pas satisfaction aux représentants de la mutuelle ? interroge Maître Nicolas Lecoq-Vallon, le premier avocat à avoir défendu les épargnants lésés du Cref.

–         Nous avons consulté notre cabinet juridique qui nous a dit que quand des textes n’étaient pas sur la même ligne, il fallait appliquer celui qui permet le fonctionnement.

–         L’examen de l’indemnité suivante, qui figure dans les comptes sous l’intitulé « indemnités administrateurs », aussi appelées « frais d’emploi », donne aussi lieu à des explications folkloriques. « On peut s’interroger sur cette indemnité de représentation et son défaut de transparence, voire l’intention de la dissimuler puisqu’elle n’a jamais été votée en AG, commente la présidente. L’enquête de l’Igas retrouve un virement de 19 200 francs à un administrateur qui, divisé par 6 pouvait représenter 6 fois 3200. Qu’est-ce que la définition de cette indemnité ? Qui peut expliquer ? Il y a un sous-entendu dans cette question, poursuit-elle en totale transparence envers les accusés. Il y a cette indemnité de représentation alors qu’on sait par ailleurs que vous avez un logement, une voiture, des frais de restaurant, etc. On se demande si ça ne fait pas double emploi. »

–         Vous avez dit que cela pouvait couvrir des frais de vêtements, relance l’avocat général en référence à une précédente réponse de l’ex-président.

–         Je me suis mal exprimé, je voudrais faire marche arrière, explique Jacques Fleurotte. Jusqu’en 1993 j’étais instituteur dans une ville de moins de 2000 habitants. Le jour où je deviens administrateur permanent, j’habite à Paris. C’est la révolution. La tenue vestimentaire n’est pas celle de l’instituteur, on en est loin. On est tous les jours habillés comme aujourd’hui, cela demande des frais, pas comme dans ma campagne. J’ai été aussi un peu estomaqué par le coût de la vie à Paris. La vie en province et à Paris, ce n’est pas la même chose.

         Alors que l’avocat général demande à nouveau si c’était à la mutuelle de prendre en charge ces dépenses, la présidente se contentera de cette explication. « Vous avez répondu à la question de savoir ce qu’étaient ces frais : une adaptation à la vie parisienne. Monsieur Teulade, cette indemnité de représentation, en ce qui vous concerne on est loin de l’adaptation à la vie parisienne.

–         Quand on fait une sortie, il y a un certain nombre de frais, ça n’a l’air de rien, des chaussures et tout ça. A la fin du mois il ne restait pas grand-chose, raconte le sénateur-maire qu’on plaindrait presque. Quand on va à des réunions publiques trois fois par jour…

–         Puisqu’on est dans l’anecdotique, note la présidente, vous parlez par exemple de réunions à la Cnil, elles ont souvent lieu le soir, on ose espérer qu’ils vous nourrissaient.

–         Oh, pas toujours !

–         Monsieur Fleurotte, qui est un homme de précision, va nous dire la différence entre les prix d’un café à Vesoul et à Paris.

–         Pour un café je ne sais pas, répond Jacques Fleurotte, mais pour une coupe de cheveux je peux vous dire car je m’en souviens très bien, c’était 11 francs en province et 22 francs quand je suis arrivé à Paris.

Une suspension de séance nous ramène en 2013, au Palais de justice de Paris. C’est l’heure du goûter.

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2 commentaires

  1. CAUDRON, le

    La spoliation des adhérents de l’ex-Cref continue allègrement en 2014, puisque l’UMR se prépare à baisser leurs rentes de 30% – excusez du peu – avec une majorité de délégués MGEN (55 sur 91) dans son assemblée générale exceptionnelle du 18/11/2014.
    35 euros par mois, une bagatelle selon le président de l’UMR. Il suppose sans doute que les sociétaires ont oublié ce qu’est une multiplication, d’abord par 12, pour avoir la somme perdue chaque année, puis par x années…
    Par ailleurs, selon ce même président, il n’est pas grave de voir sa retraite complémentaire massacrée de cette façon, puisque le sociétaire, retraité de l’Education Nationale, peut compter sur sa pension versée par l’Etat. (voir article de Jean-Philippe Dubosc, du 14/10/2014)

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