Alors que SFR vient d’être vendu à prix d’or par Vivendi à son concurrent Numéricable (plus petit mais aux grandes ambitions), Deontofi.com revient sur deux affaires surprenantes impliquant SFR, qui méritent d’être examinées sous l’angle de la déontologie financière. Flash mise à jour : cette actu exclusive de Deontofi.com a été relayée par France 3 le 19 octobre 2014.

Philippe Fontfrede attire l'attention des députés sur un cadeau fiscal de 3,8 milliards d'euros accordé à SFR, comme à bien des groupes du CAC 40, sans respect des contreparties d'emploi. (photo © GPouzin)

Philippe Fontfrede attire l’attention des députés sur un cadeau fiscal de 3,8 milliards d’euros accordé à SFR, comme à bien des groupes du CAC 40, sans respect des contreparties d’emploi. (photo © GPouzin)

L’Etat serait-il en train de laisser passer quelques milliards d’euros de recettes fiscales relativement faciles à récupérer, alors qu’il a tant de mal à endiguer son déficit budgétaire en créant de nouvelles taxes impopulaires ou en rabotant les services publics ? C’est la question qu’on se pose en écoutant Philippe Fontfrede. Cet ancien distributeur de téléphonie, aujourd’hui consultant en télécoms et technologies de l’information, est devenu une bête noire pour l’opérateur depuis qu’il a créé l’ADTITE (Association des Distributeurs des Technologies de l’Information et Télécoms aux Entreprises) dont il défend la cause sur son « blog télécoms » (http://telecoms.agence-presse.net/).

Philippe Fontfrede nous avait contacté au sujet d’une information dénichée en épluchant les comptes de l’opérateur, dans le cadre de ses différends avec SFR sur lesquels nous reviendrons plus loin. Selon ses informations, SFR aurait profité d’un avantage fiscal de 3,8 milliards d’euros en contrepartie duquel il s’était engagé à créer 2100 emplois, dont il conteste la réalité. Depuis, il estime que le fisc et les contribuables français ne doivent pas laisser passer un tel cadeau sans demander des comptes à Vivendi SFR, et que l’opérateur doit rembourser les avantages dont il a bénéficié s’il n’a pas tenu ses engagements. Il remue ciel et terre pour le faire savoir.

En octobre 2013 il a lancé une pétition sur le site Change.org, qui a recueilli 32 000 signatures. Et il est allé porter sa cause à l’Assemblée nationale, où tous les députés n’ont pas compris sa démarche, certains estimant l’info trop énorme pour être sérieuse. « Il suffit pour répondre à la question de regarder dans la comptabilité et les chiffres des filiales françaises pour constater qu’il n’y a pas eu 2100 créations de postes mais seulement 74 », explique l’intéressé avec détermination. Il a trouvé une écoute auprès de Catherine Lemorton, députée PS de Haute-Garonne et présidente de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée. Dès 2008, elle avait posé une question parlementaire sur ce dossier à Christine Lagarde (UMP), ministre de l’économie à l’époque.

Il aimerait que l’Assemblée nationale ouvre une commission d’enquête sur ce sujet, mais explique que ce serait du ressort de la Commission des affaires économiques et de son président, François Brottes, député PS de l’Isère. Il l’a rencontré en ce sens le 7 avril 2014 mais le député ne semble pas pressé d’enquêter sur l’optimisation fiscale de la multinationale. Profitant de son passage à Paris, nous l’avons rencontré le lendemain, mardi 8 avril, place du Palais Bourbon, où il était venu sensibiliser des députés et citoyens à sa cause.

Bien sûr, l’affaire est plus complexe qu’il n’y paraît. On ne fraude pas 3,8 milliards d’impôts au nez et à la barbe du fisc aussi facilement. Il faut au moins habiller vos montages d’optimisation d’une forme de légalité défendable par les avocats et autres juristes experts en voltige fiscale. En l’occurrence, SFR se défend de toute infraction.

Vivendi plaide la légalité de ses avantages fiscaux

A la suite de la pétition de Philippe Fontfrede, Vivendi, propriétaire de SFR à l’époque, s’est fendu le 13 octobre 2013 d’un communiqué sobrement titré « Précision », dans lequel il donne sa version de l’affaire. En préambule, il est indiqué que : « Plusieurs personnes ont reçu un courrier relatif à la situation fiscale de Vivendi, évoquant le fait que « Vivendi SFR doit rembourser les 3,8 milliards d’euros d’avantage fiscal ». Le Groupe n’a pas l’intention de polémiquer sur les allégations mensongères apparaissant dans ce document, mais souhaite rétablir la réalité ».

En lisant les explications de Vivendi, on comprend que l’avantage fiscal contesté s’inscrivait dans le cadre du régime de bénéfice mondial consolidé (BMC), créé en 1996 et supprimé fin 2011, qui permettait à tous les groupes internationalisés de consolider les pertes de leurs filiales, françaises ou étrangères, contrôlées à au moins 50%. Un avantage discutable, et d’ailleurs contesté par de nombreux contre-pouvoirs citoyens, notamment le groupe parlementaire PS et le syndicat CFTC, mais accordé en toute légalité par les élus de la République.

Vivendi explique ensuite qu’il avait « accepté des engagements notamment en matière d’aide à la création d’emplois » dans le cadre de ce dispositif fiscal, en ajoutant qu’« il ne s’agissait pas de contreparties, mais d’un engagement volontaire ». La contradiction interne de cette formulation intrigue. L’engagement volontaire d’une entreprise à créer des emplois l’engage-t-elle vraiment ? Et en quoi cet engagement s’inscrirait « dans le cadre » de l’avantage fiscal indiqué, s’il n’en constituait « pas une contrepartie » ?

La confusion de l’opérateur ne plaide pas en sa faveur. Son explication alambiquée est d’ailleurs contredite par Luc Chatel (UMP), secrétaire d’Etat à la consommation en 2008, dans sa réponse à la question parlementaire de Catrerine Lemorton. Il explique que ce régime de défiscalisation « n’est accordé que si le groupe dispose d’une implantation internationale (…), et si les avantages (…) ont des contreparties économiques suffisantes (…), notamment en matière d’exportations et de création d’emplois » comme c’est explicitement prévu par l’instruction fiscale du 16 mars 1995, publiée au Bulletin officiel des impôts (BOI).

Vivendi revendique ensuite un nombre important de créations d’emplois, contredisant les chiffres calculés par le consultant Philippe Fontfrede. Le groupe conteste aussi le calcul de 3,8 milliards d’euros d’avantages fiscaux… tout en validant l’ordre de grandeur avec ses propres chiffres : « Sur 7 ans, entre 2004 et 2010, le montant perçu par Vivendi au titre du régime du BMC est de 3,3 milliards d’euros » indique le communiqué en ajoutant que « Vivendi a effectivement déposé une demande de remboursement d’un montant de 366 millions d’euros auprès de l’administration fiscale en novembre 2012 ». Alors 3,8 ou 3,666 milliards de remises d’impôts ?

Sur le fond, qui a raison et qui a tort ? Que ce soit sur la polémique fiscale, ou sur le chiffrage des créations ou destructions d’emplois, l’expertise nécessaire à une analyse approfondie de cette polémique dépasse les moyens du consultant, tandis qu’on ne peut se fier aux explications de Vivendi.

Bientôt une commission d’enquête sur les avantages fiscaux accordés à Vivendi SFR ?

Pour chercher la vérité, il faudrait créer une commission d’enquête parlementaire sur l’optimisation fiscale de Vivendi. Une première requête en ce sens a été soumise à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 2 novembre 2004. La présidente PS de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée, Catherine Lemorton, a relancé ce projet récemment. Dans un courrier amical au ministre de l’économie, cette fois du même parti au pouvoir qu’elle, elle rappelle qu’elle « avait demandé par la Proposition de résolution N° 1891 la création d’une commission d’enquête sur les conséquences de l’attribution au groupe Vivendi Universal d’un agrément ministériel lui accordant les avantages du régime fiscal du bénéfice mondial consolidé et sur les responsabilités de sa filiale Cegetel dans la restructuration de l’entreprise Timing, entraînant une délocalisation d’activité au Maroc et la suppression de plus de deux cents emplois à Montrouge (Hauts-de-Seine) ». Elle y précise qu’à la suite de cette affaire, « Vivendi-SFR et son prestataire Téléperformance ont été condamnés par le Tribunal de Toulouse à une amende de 1,8 million d’euros pour « collusion frauduleuse » ». Son courrier est daté du 12 mars 2014, avant que le ministre de l’économie Pierre Moscovici ne cède ses fonctions à son remplaçant Michel Sapin.

Mais faudrait-il circonscrire l’investigation parlementaire à la seule optimisation fiscale de Vivendi ou l’étendre à celle de Total, BNP, LVMH et toutes les vedettes du CAC 40, sans parler des myriades de holdings luxembourgeois qui prennent chaque jour le contrôle des PME industrielles françaises, en quête de repreneurs, pour défiscaliser les plus-values sur leur revente ultérieure ? Et pourquoi les syndicats de Vivendi et de SFR ne s’attaquent-ils pas plus vigoureusement à ce sujet lié à l’emploi, parfaitement dans leur champ d’action ?

Il reste bien des zones d’ombre sur les avantages fiscaux accordés à Vivendi SFR. Mais la puissance publique n’a peut-être pas les moyens de faire toute la lumière sur ces affaires, avec la volonté nécessaire, comme c’est souvent le cas pour la délinquance économique, financière et boursière en général. On l’a encore vu à l’occasion de l’affaire Vivendi, dans laquelle des délits avérés n’ont pas été poursuivis. Pour sa part, Philippe Fontfrede a davantage d’expertise, d’arguments et de pièces à conviction, sur son principal sujet de différend avec SFR : la façon inavouable dont l’opérateur neutralise ses distributeurs (lire Comment l’opérateur téléphonique SFR évince ses distributeurs et perd ses procès).

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24 commentaires

  1. PIALET, le

    Tous ces « bandits » en col blanc (politicars véreux , financiers sans foi ni loi et j’en passe ….) sont à vomir.
    Au lieu d’oeuvrer pour le bien de tous ,ils ne pensent qu ‘ à s’en mettre plein les poches sans respect de
    rien. Pauvre société !

  2. LEAL, le

    UMP/PS sont à vomir par cette même politique d’enrichissement de quelques centaines qui roulent avec les millions comme nous avec 1 euro ! Il touchent des salaires mirobolants qui ne sont rien à côté des stocks options, des jetons de présence dont on ne parle plus, des milliards versés ou exonérés par ce gouvernement qui ferme les hôpitaux et les services publics qui nous refuse des augmentations de salaires et de pensions de retraite, combien ont perçu les actionnaires encore cette année + 34 % ? C’est la France (dixit les milieux bien informés de la Finance) où les riches se sont encore plus enrichis !
    Taisez-vous pauvres manants, Mrs Hollande et Valls savent ce qui est bon pour la France, nous sommes des retardés, la « gôche » sait évoluer (la leur) baissez la tête et payez + tous les jours : TVA, impôts en tous genres, baissez vos revenus, allez faire les poubelles vous récupérerez quelques légumes pour mitonner une bonne soupe, mangez les aliments périmés c’est bon pour votre santé. Ecoutez bien tous ces donneurs de leçon et vous serez récompensés !!!!!!!!!!!!

    • Gilles Pouzin, le

      Merci pour votre réaction. Si les dérives de nombreux dirigeants économiques ou politiques entraînent effectivement leur rejet par une part croissante de la population, en partie grâce à la liberté d’information des médias indépendants exerçant un contre-pouvoir salutaire, nous pensons cependant qu’aucun parti politique n’a le monopole des malversations. De la même manière, tous les adhérents ou militants d’organisations citoyennes, partis politiques, associations diverses et syndicats professionnels ou de salariés, ne sont pas nécessairement malhonnêtes.
      Conscient des ces nuances dans l’expression de la nature humaine, Deontofi.com se concentre sur la révélation et l’analyse des faits, sans préjugés ni orientations politiques.

  3. moutote, le

    Je suis fatigué de n’entendre parler que de milliards et de profits de nos dirigeants, industriels du CAC 40 et politiques
    Nous tous et principalement  » les benets  » qui les admire n’avons que ce que nous avons semé.
    Quand serons nous en mesure de les renvoyer tous à l’étable du travail pour tous et non à la dépendance du peuple qui les assiste.
    Ils ont gagné la LUTTE DES CLASSES à nous de réagir. Merci Monsieur P. Frontfrede et à ceux qui agissent.
    Moutote

    • Gilles Pouzin, le

      Comme indiqué dans l’article, les 366 millions s’ajoutent à 3,3 milliards déjà perçus : « Sur 7 ans, entre 2004 et 2010, le montant perçu par Vivendi au titre du régime du BMC est de 3,3 milliards d’euros » indique le communiqué en ajoutant que « Vivendi a effectivement déposé une demande de remboursement d’un montant de 366 millions d’euros auprès de l’administration fiscale en novembre 2012 ».

    • Philippe Fontfrede, le

      D’autant qu’après avoir pris le temps d’éplucher les 10 bilans de vivendi (en France ce sont SFR et Canal+), soit plus de 3500 pages, les comptes certifies et valides par vivendi font état non pas de 3,3 Mds, pas de 3,8Mds mais de 4 Mds d’euros. A ce jour, les 366 millions d’euros n’entrent pas encore dans ce décompte.

    • Philippe Fontfrede, le

      En effet, je m’y emploie et me demande la raison pour laquelle vivendi, qui a déclaré au sujet de la pétition « ne pas vouloir polémiquer », ne souhaite pas exposer sa version des faits et le débat s’ouvrir…. Auriez vous une réponse a nous soumettre ?

  4. Philippe Fontfrede, le

    Rectificatif : ce ne sont pas 74 nouveaux emplois qui auraient été crées par vivendi mais 2 769 emplois directs qui ont été détruits par vivendi… La démonstration est au cœur du controverse « pacte de responsabilité »… A SUIVRE !

    • philippe fontfrede, le

      10 octobre 2014, nouvelle pétition  » Ne laissons pas Vivendi SFR récupérer nos 366 millions d’euros !  »

      Octobre 2013, première pétition  » Vivendi SFR doit rembourser les 3,8 milliards d’euros d’avantage fiscal « .

      A signer, diffuser et relayer sans aucune retenue !!!

    • Anouk, le

      Bonjour, je ne peux ouvrir aucune de vos pétitions.
      « Échec de l’opération » me dit ma messagerie mageos (anciennement neuf telecom puis sfr maintenant).
      Ce depuis longtemps…est-ce normal, alors que les pétitions d’avaaz ou change.org ne posent pas de soucis ?

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