Sommaire :

 1.      Les fonds d’actions non cotées, dits « private equity », dérapent-ils ? La SEC enquête sur des pratiques douteuses.

 2.      L’investissement socialement responsable (ISR) l’est-il vraiment ?

 3.     La déontologie financière en procès : jurisprudence, audiences et sanctions.  Exercice illégal du conseil en investissements financiers : première condamnation !

4.      Les agences de notation financière sont-elles indépendantes?

 

 1.      Les fonds d’actions non cotées, dits « private equity », dérapent-ils ? La SEC enquête sur des pratiques douteuses.

Relativement épargnés par les krachs boursiers de la dernière décennie, les fonds d’investissements en sociétés non cotées, ou « private equity », ont séduit les épargnants et les caisses de retraite en quête de placements rentables. Les fonds de sociétés non cotées ont ainsi collecté et accumulé 1200 milliards de dollars d’actifs aux Etats-Unis et plus de 60 milliards d’euros en France, en faisant miroiter des gains alléchants, performances passées à l’appui.

Mais les gains provisoires affichés par les gérants pour attirer de nouveaux clients sont-ils fiables ? Le problème des sociétés non cotées est qu’il est difficile de connaître leur valeur réelle, puisqu’elles ne font pas l’objet de transactions nombreuses comme c’est le cas pour celles cotées en Bourse. Cette valorisation est d’autant plus délicate quand elle est faite par les gérants eux-mêmes. Ils peuvent être tentés de surestimer la valeur d’une société dans laquelle ils ont investi, pour vanter la performance de leur gestion afin d’attirer de nouveaux clients.

Des pratiques qui ont fini par attirer l’attention de la Securities and Exchange Commission (www.sec.gov), le gendarme de la Bourse américaine. Fin 2011, la SEC a demandé à plusieurs gérants de « private equity » des clarifications sur leurs méthodes de valorisation de leurs participations et de commercialisation de leurs fonds. Les réponses n’étant pas toujours convaincantes, la SEC a lancé des enquêtes plus ciblées sur certains gérants.

La banque d’affaire et d’investissement américaine Oppenheimer (www.opco.com) serait ainsi soupçonnée d’avoir surestimé la valeur d’une société dans laquelle avait investi son fonds Oppenheimer Global ressource Private Equity Fund LP, gonflant artificiellement la valorisation du fonds de 4 millions de dollars, ce qui lui permettait d’afficher un gain factice de 38%, au lieu de sa véritable performance, en perte de 6,3%, selon le Wall Street Journal du 23 février 2012. Erreur involontaire ou intentionnelle ? Le gain affiché tombait à pic, fin 2009, au moment où Oppenheimer lançait une campagne de souscription pour des fonds de « private equity » lui ayant rapporté 55 millions de dollars. La banque nie pour sa part toute irrégularité, s’abritant derrière un « rapport d’audit indépendant », évidemment payé par la banque, qui dédouane cette dernière sur les méthodes de valorisation de ses investissements.

En France, il serait utile d’enquêter sur la gestion des placements en « private equity » qui ont explosé grâce à la réduction d’ISF de 75% sur les PME et aux atouts fiscaux des Fonds communs de placements dans l’innovation (FCPI). A l’assemblée nationale, le député Marc Le Fur s’inquiète ainsi depuis plusieurs années du fait que« les frais de gestion dépassent le plus souvent 5 % par an et peuvent atteindre jusqu’à 10 % par an ».

2.      L’investissement socialement responsable (ISR) l’est-il vraiment ?

Pour redorer l’image de la gestion financière vis-à-vis d’investisseurs choqués par les turpitudes du capitalisme, les banques développent depuis une dizaine d’années des placements étiquetés « Investissement socialement responsable » (ISR). L’idée est de rassurer les investisseurs, notamment les caisses de retraite, sur le fait que l’argent est placé en respectant des valeurs environnementales, sociales et de gouvernance (dits critères ESG), et en vérifiant bien la responsabilité sociale des entreprises (RSE) dont ils achètent les actions.

Représentants des salariés dans les entreprises, au sein des caisses de retraite complémentaires dont ils pilotent les réserves, et dans la gestion de l’épargne salariale, les syndicats jouent un rôle central pour populariser l’investissement socialement responsable en France. Depuis la loi du 17 février 2001 les sociétés qui proposent à leurs salariés un Plan d’épargne entreprise (PEE), un plan d’épargne inter-entreprise (PEI) ou un plan d’épargne retraite collectif (Perco) ont l’obligation d’y proposer des fonds communs de placement d’entreprise (FCPE) ayant une approche d’investissement socialement responsable (ISR). Pour vérifier que les fonds vendus par les banques sont effectivement gérés de façon socialement responsable, quatre syndicats (CFDT, CGC, CFTC, CGT) ont créé le Comité intersyndical pour l’épargne salariale ( CIES ). A l’occasion de son dixième anniversaire, le CIES a présenté un bilan de cette approche, le 27 janvier 2012 au Comité économique et social et environnemental (CESE).

Premier constat, l’ISR se développe effectivement grâce au soutien des syndicats dans l’épargne salariale diversifiée, dont il représente 20% des encours, contre seulement 3% du total des fonds vendus en France. Il faut dire que le manque d’engouement des épargnants pour ce phénomène ISR illustre les doutes qui entourent ce concept. C’est le second constat de ce bilan. D’abord, les fonds ISR ne sont pas si « socialement responsables » vis-à-vis des épargnants dont ils gèrent l’argent en terme de frais. Comme dans les autres fonds d’investissements, les commissions qui rognent discrètement chaque année les économies des salariés restent très opaques, surtout dans le cas des fonds de fonds, c’est-à-dire des FCPE qui investissent dans d’autres fonds plutôt que de gérer directement des titres. « Nous ne voulons pas de fonds de fonds car ils manquent de transparence », rappelle Jean Conan, co-fondateur du CIES qui exclut cette catégorie du label créé par le CIES. Ensuite, un doute demeure sur l’engagement réel des sociétés sélectionnées par les fonds ISR à promouvoir la responsabilité sociale d’entreprise (RSE). « Comment peut-on parler de RSE sans donner les moyens aux cadres d’exercer leur responsabilité sociale sans la peur d’être virés ? », interroge Marie-José Kotlicki, secrétaire de l’Ugict, le syndicat des cadres CGT.

3.      La déontologie financière en procès : jurisprudence, audiences et sanctions. Exercice illégal du conseil en investissements financiers : première condamnation ! Cour d’Appel de Paris, arrêt du 3 juin 2011, RG n°10/06470 (pôle 5 « vie économique », chambre 13 « délinquance financière et contentieux fiscal »).

Les faits : Le propriétaire d’une belle entreprise dans le secteur des volets roulants reçoit en juin 2006 un courrier d’un « conseil en fusion-acquisition, spécialisé dans le rapprochement d’entreprises, l’ingénierie d’opérations de haut de bilan, essentiellement des cessions d’entreprises » indiquant être en relation avec un groupe intéressé par le rachat de son entreprise. Il répond dans deux courriers du 22 juin et 5 octobre 2006 qu’il accepterait d’étudier ces offres en parallèle d’offres concurrentes (en particulier du leader du secteur avec qui il est en relation depuis longtemps). Il transmet les comptes de son entreprise et signe un mandat de cession le 20 novembre 2006 au profit du conseiller qui lui présente deux premiers acheteurs sans grand intérêt. De son côté, le directeur général du leader du secteur signe un engagement de confidentialité, le 17 février 2007, pour avoir accès au dossier que promet de lui présenter le conseiller en fusion-acquisition.

Point litigieux : Découvrant que le conseiller n’avait réussi qu’à leur présenter le partenaire qu’ils connaissaient déjà, le propriétaire de l’entreprise à vendre et le directeur du leader du secteur décident de poursuivre leurs discussions seuls. Ils invoquent la nullité du mandat auprès du conseiller, par courrier du 23 mai 2007, au motif qu’il n’est inscrit auprès d’aucune association de Conseillers en investissements financiers (CIF) agréée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour exercer cette activité. La vente est conclue le 6 novembre 2007 et, deux mois plus tard, l’ancien propriétaire reçoit un courrier du conseiller en fusion-acquisition lui réclamant plus de 3 millions d’euros de commission sur la vente de son entreprise au leader du secteur, qu’il revendique lui avoir présenté, suivi d’une assignation en paiement de cette somme devant le tribunal de commerce et le tribunal de grande instance. Le vendeur de l’entreprise contre-attaque en poursuivant le conseiller pour exercice illégal de son activité de conseil en investissements financiers afin de faire reconnaître l’illégalité de la commission injustifiée qui lui est réclamée.

Débat juridique : Qu’est-ce qu’un conseil en investissements financiers (CIF) ?

Avant d’être précisée par la directive des Marchés d’instruments financiers (MIF), en vigueur depuis novembre 2007, l’activité de conseil en investissements financiers avait été définie par la loi de sécurité financière (LSF) du 1er août 2003. Selon l’article L 541-1 du Code monétaire et financier, le conseil en investissements financiers peut porter d’une part sur la « réalisation d’opérations sur les instruments financiers mentionnés à l’article 211-1 » du même code, c’est-à-dire « sur actions ou titres pouvant donner accès au capital ou droit de vote » ; et d’autre part sur la fourniture de « services d’investissements ou de services connexes » définis à l’article L 321-1 et au 4° de l’article L 321-2 qui inclut « la fourniture de conseils aux entreprises en matière de structure de capital, de stratégie industrielle ainsi que de services concernant les fusions et le rachat d’entreprises ». A l’époque des faits et depuis le 13 décembre 2005, les professionnels exerçant cette activité (en dehors d’une banque ou d’une société de gestion agréée par l’AMF) devaient y être autorisés en adhérant à une association professionnelle agréée par l’AMF. Avec la directive MIF, la définition du CIF a été renforcée. L’article D321-1 du Code monétaire et financier (voir le 5°) considère comme un service en investissements « le fait de fournir des recommandations personnalisées à un tiers, soit à sa demande, soit à l’initiative de la société qui fournit le conseil, concernant une ou plusieurs transactions portant sur des instruments financiers », une recommandation étant personnalisée dès lors qu’elle est « présentée comme adaptée à cette personne », selon l’article 314-43 du livre III (Prestataires) du règlement général de l’AMF.

Décision : Au regard de la réglementation, les offres de services du conseiller, le mandat qu’il avait fait signer, ou les commissions qu’il réclamait, relevaient bien du conseil en investissements financiers (CIF). N’étant pas adhérent d’une association professionnelle de CIF agréée par l’AMF pour exercer cette activité, sa condamnation est confirmée par la Cour d’Appel. Le prévenu n’ayant jamais été condamné, son délit d’exercice illégal du conseil en investissements financiers est sanctionné par une amende modeste. La partie civile n’ayant subit aucun dommage directement lié à l’infraction, elle n’obtient aucune réparation. Mais elle économise les millions d’euros abusivement réclamés par le conseiller.

4. Les agences de notation financière sont-elles indépendantes ?

Pour aider les investisseurs à appréhender la solvabilité d’un emprunteur, des experts se sont spécialisés dans l’analyse de leurs capacités de remboursement. Dès 1868, Henry Varnum Poor et son fils fondent la société Poor & Co qui publie un guide financier des sociétés de chemin de fer, les grands emprunteurs de l’époque. Depuis 144 ans, les agences de notation financière ont prospéré, devenant des acteurs influents, comme Standard & Poor’s (S&P), Moody’s ou Fitch. Mais depuis la crise de 2008, dite des « subprimes », l’expertise et l’indépendance des agences de notation fait débat.

Connaître la solvabilité et les risques de défaillance des différents emprunteurs est une information utile pour l’allocation optimale de l’épargne et le financement de l’économie. Concrètement, les investisseurs prêtent à des taux moins élevés aux emprunteurs les plus solvables (notés AAA) car ils ont l’assurance de toucher leurs intérêts annuels et de récupérer leur capital à l’échéance du crédit. A l’inverse, les emprunteurs réputés moins solvables, par exemple ceux notés B, qui connaissent statistiquement plus de 40% d’incidents de remboursement (sur le capital et/ou les intérêts), doivent payer un taux plus élevé pour rémunérer les risques encourus par les investisseurs.

Dans la pratique, la capacité d’anticipation des agences de notation n’est pas supérieure à celle d’autres prévisionnistes, économistes ou analystes financiers. La perte de la note suprême AAA de la France, vendredi 13 janvier 2012, en est le dernier exemple. Alors que cette dégradation était décrite et redoutée six mois plus tôt comme un cataclysme qui ferait fuir les investisseurs et augmenterait le coût de financement de notre dette publique, c’est l’inverse qui s’est produit. Le taux des emprunts d’Etat français a baissé de 3% à 2,81% et l’indice CAC 40 a bondi de 12% entre le 13 janvier et le 15 mars 2012.

Tout le monde peut se tromper. « Au départ, c’est un peu comme la presse, les agences donnent un avis sur la base d’une analyse », commentait François Veverka, ancien directeur de l’agence S&P, dans Le Monde du 19 août 2011. La grande différence est que les journalistes ne sont pas payés par les emprunteurs qu’ils analysent, contrairement aux agences de notation. La polémique sur les agences de notation ne porte pas tant sur leur capacité à prévoir l’avenir que sur leur influence et l’indépendance des notes qu’elles vendent aux émetteurs de placements financiers exotiques.

Pour démultiplier leur activité de crédit avec profit, les banques revendent à des investisseurs les prêts qu’elles accordent à leurs clients, afin de récupérer l’argent plus vite pour accorder de nouveaux prêts. Des milliers de prêts déjà accordés à des particuliers pour acheter leur logement sont rassemblés en un seul paquet, vendu par exemple à une caisse de retraite qui percevra les intérêts et les remboursements à la place de la banque, ce qu’on appelle la « titrisation ». Or, pour vendre ces paquets de crédits plus cher, les banques doivent convaincre de leur solvabilité. C’est là qu’interviennent les agences de notation, payées par les banques pour attribuer une note aux paquets de crédits vendus par ces dernières sous les noms de « structured investment vehicles » (SIV), « asset backed securities » (ABS), et autres « collateralized debt obligation » (CDO). La vente de ces notes « sur mesure » a généré jusqu’à la moitié du chiffre d’affaire des agences de notation, révélait Michel Prada en 2007 alors qu’il était président de l’AMF. Or, un grand nombre d’emprunteurs particuliers étant incapables de rembourser les prêts revendus aux caisses de retraite, ces dernières se sont retrouvées avec des titres insolvables malgré leurs notes AAA. Soupçonnant les agences de notation de collusion avec les banques à son encontre, le California Public employees retirement system (la caisse de retraite des fonctionnaires de Californie, plus connue sous son acronyme Calpers), poursuit les agences de notation depuis 2009 en leur réclamant 1 milliard de dollars de dommages et intérêts. En France, Jean-Louis Borloo a annoncé le 17 janvier 2012 son intention d’engager aussi des poursuites contre les agences de notation.

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