Comment distinguer le bien et le mal, si souvent entremêlés dans les affaires ? (photo © GPouzin)

Depuis la décennie 2000, le milieu de la finance a tenté sans grand succès de populariser une image de l’investissement boursier dit « éthique », un temps baptisé Investissement socialement responsable (ISR), avec ses variantes sémantiques, comme le respect des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). Un échec relatif, comme le confirme la recherche d’un nouveau nom.

Qui oserait contester que l’investissement « éthique » ou « socialement responsable » part d’une bonne intention ? A une époque où certains doutent de l’efficacité et de l’utilité sociale des marchés boursiers et des institutions financières, dans la gestion des capitaux que leur confient les épargnants, promettre que cet argent sera dorénavant orienté vers des projets et des entreprises « éthiques » ou « socialement responsables » est assurément un concept rassembleur. Si cette démarche avait été réellement approfondie jusqu’au bout de son raisonnement, elle aurait sans doute convaincu davantage le grand public qu’il ne s’agissait pas d’un simple vernis marketing mais d’un tournant majeur du capitalisme.

En attendant, les professionnels de la finance reconnaissent implicitement que l’étiquette « socialement responsable » n’a pas convaincu. Dans un communiqué du 2 juillet 2013, les « promoteurs » de l’ISR ont ainsi annoncé sa « nouvelle définition afin de mieux se faire connaître des épargnants ». Oubliez l’ancienne, même si vous ne l’avez jamais sue.

Définition officielle 2013 : « L’ISR (Investissement Socialement Responsable) est un placement qui vise à concilier performance économique et impact social et environnemental en finançant les entreprises et les entités publiques qui contribuent au développement durable quel que soit leur secteur d’activité. En influençant la gouvernance et le comportement des acteurs, l’ISR favorise une économie responsable. »

C’est dit. L’ISR « vise », « contribue », « influence » et « favorise », mais il ne tranche pas. Ce n’est pas un reproche, car on serait bien incapable de dénicher des sociétés cotées en Bourse méritant l’appellation « éthique ». Comment pourrait-on distinguer le bien et le mal, si souvent entremêlés dans les affaires ? Le problème est que cette impossibilité fondamentale vide l’étiquette ISR de toute capacité distinctive.

Déontofi avait déjà évoqué certains écueils de cette démarche et les limites de sa crédibilité, dans un article à l’occasion du 10ème anniversaire du Comité intersyndical pour l’épargne salariale (CIES), qui est un défenseur « lucide » de ce concept face à ses contradictions.

Une autre question mérite réflexion : à qui sert l’ISR ? En se présentant officiellement comme le « promoteur » de l’ISR, au côté du « FIR (Forum pour l’Investissement Responsable) », l’Association française de gestion (AFG) fait preuve d’une honnête transparence qui peut aider à comprendre le manque d’enthousiasme du public vis-à-vis de l’investissement « éthique ».

Qu’il s’agisse de l’AFG ou du FIR, on constate que ces deux entités sont aux mains des professionnels de la finance eux-mêmes. Dès lors, comment ne pas penser que l’ISR est une invention des professionnels de la finance au service de leurs propres intérêts, c’est-à-dire pour collecter plus d’épargne générant davantage de commissions ?

Au-delà des difficultés de l’exercice (établir et contrôler les critères du bien et du mal) voire son impossibilité (distinguer l’éthique au milieu de l’immoralité), une des faiblesses de l’ISR semble liée à son hérédité : ce concept a été promu par et pour les institutions financières. Il aurait pu en être autrement s’il avait été créé par les épargnants et les citoyens pour rendre la finance plus utile à la société, dans le respect de la planète et des individus. Comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, gardons espoir que cette erreur puisse être réparée.

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