L’audience du 5 décembre 2013 devant la 5ème chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Paris est consacrée à l’examen des avantages en nature que s’accordaient les administrateurs permanents du Cref. En plus de leurs indemnités, ils bénéficiaient d’un logement et d’une voiture de fonctions fournis par la mutuelle. (Tous les articles sur l’affaire Cref ici)

Quatrième partie (4 sur 5)

Maîtres Stéphane Bonifassi, Francis Terquem, Yann Le Bras et Nicolas Lecoq-Vallon, avocats des victimes du complément de retraite des enseignants et fonctionnaires, Cref. (photo © GPouzin)

Maîtres Stéphane Bonifassi, Francis Terquem, Yann Le Bras et Nicolas Lecoq-Vallon, avocats des victimes du complément de retraite des enseignants et fonctionnaires, Cref. (photo © GPouzin)

Après les appartements, la Cour passe à l’examen des voitures de fonction et cartes bancaires mises à la disposition des administrateurs permanents. La dernière partie de l’audience permettant d’entendre des victimes parties civiles.

En 1997, l’Union avait un parc de 10 voitures, selon le rapport de l’Igas, dont sept faisaient office de voitures de fonction des administrateurs permanents : deux Safrane, une Mégane et une Clio côté Renault; une 406, une 405 et une 306 côté Peugeot. Les modèles les plus haut de gamme étaient certes ceux des ministres de l’époque, mais les autres restaient davantage utilitaires. La présidente mentionne une première discussion sémantique figurant dans le dossier d’instruction entre véhicule de fonction et voiture de service, le premier étant réservé à une personne tandis que la seconde ayant un usage collectif. « A partir du moment où vous étiez logé, quelle était la nécessité en plus des autres avantages d’avoir ces véhicules » interroge la magistrate. Le sénateur-maire René Teulade explique qu’il en avait besoin pour ses déplacements permanents à sillonner la France dans des réunions sur l’avenir des retraites et pour rentrer chaque week end à Argentat exercer son mandat d’élu local et prendre soin de ses parents.

– Est-ce à la mutuelle de prendre en charge vos fonctions de maire et vos affaires familiales ? interroge le procureur général.

– Oui, la mutuelle devait me permettre d’avoir une vie normale, estime René Teulade en précisant que la mutuelle ne prenait pas en charge ses frais d’élu local.

– Vous êtes sûr ? vérifie l’avocat général.

– Oui, assure René Teulade.

– Alors regardez cette note de frais, demande le procureur en lui tendant un document démontrant le contraire.

– Oui, et alors ?, répond René Teulade avec aplomb.

La présidente examine à son tour le document extrait du dossier d’instruction.

Ce que veut dire monsieur l’avocat général c’est que vous en faisiez un usage de véhicule personnel, traduit-elle avec pédagogie comme si l’élu de la République pouvait avoir du mal à comprendre cette notion.

– Mais comment distinguer l’usage professionnel et privé alors que vous avez répondu que c’était aussi pour voir votre famille et assister aux réunions de conseil municipal, monsieur le Ministre ?, relance à son tour Maître Francis Terquem.

– C’était une voiture de service, Mr Teulade avait un véhicule de service, tente de justifier Jean-Louis Vaucoret. Je veillais à ce que les justificatifs soient conformes, la mutuelle n’aurait jamais accepté de payer autrement.

L’avocat général pointe néanmoins l’usage fréquent et régulier de la carte bancaire confiée au sénateur-maire au Relais de Sologne d’Argentat et à la station Total du coin.

Vous aviez un logement de fonction à Paris, en quoi est-ce à la mutuelle de payer vos déplacements ? interroge à nouveau le ministère public.

Parce que je suis maire, estime René Teulade en frappant de temps en temps la table devant, comme le font les hommes sûrs de leur pouvoir peu enclins à en tolérer la contestation.

– Il y a encore deux éléments retenus comme avantages par le tribunal, reprend la présidente : les bons Mutex (NDLR, des placements et assurances décès souscrites avec l’argent du Cref au profit des administrateurs), et les cartes bancaires, mais le tribunal estime qu’entre les dépenses d’hôtels, de péages et d’essence, il est impossible de distinguer ce qui relève de l’abus de confiance même si la liste à la Prévert de ces dépenses laisse penser qu’elles ne sont pas toutes du ressort de la mutuelle.

Elle explique que l’usage des cartes bancaire a fait l’objet d’une relaxe en première instance, mais qu’on y trouve de tout, comme dans les dossiers d’abus de biens sociaux, par exemple des dépenses de coiffeur.

–  Quand on voit les notes de restaurant on se dit que vous avez l’estomac solide, renchérit l’avocat général. Ce qui m’intéresse, c’est que ces relevés nous éclairent sur l’utilisation des véhicules…

Sentant ce terrain glissant pour leurs clients, les avocats de la défense font barrage et une controverse éclate sur le sens des questions du ministère public au regard de l’ordonnance de renvoi des magistrats de l’instruction.

–  Nous avons été renvoyés en appel d’une somme globale, il faut nous dire si des faits précis sont recherchés, objectent les défenseurs des administrateurs.

–  Ce n’est pas à moi de vous expliquer l’ordonnance du juge d’instruction, s’offusque le procureur général surpris d’être soudain pris à partie par le camp des accusés. La cour est saisie de ce point.

–         Nous sommes saisis d’un appel du parquet, intervient la présidente Catherine Dalloz. La question posée par madame Baulieu (NDLR avocate de la défense) est celle de la charge de la preuve.

–         On ne peut pas se contenter d’un paquet sans savoir si l’usage des cartes bancaires est retenu pénalement, pointe à nouveau l’avocate. Donc il faut qu’on conclue sur les cartes bancaires ? Sur l’intégralité des sommes par carte bancaire figurant dans l’ordonnance de renvoi, ou est-ce que des postes en sont écartés ? Sauf à conclure sur chacun des montants individualisés.

–         Les poursuites sur les cartes bancaires telles que déterminées par l’ordonnance de renvoi, sont maintenues, confirme la magistrate. Est-ce que vous voulez qu’on les examine ligne à ligne ou acceptez-vous de les plaider en bloc ?

–         Chiche ! lance un autre avocat de la défense pour souligner que la proposition de la Cour ressemble à un chantage qu’elle ne pourrait pas assumer : examiner la justification de chaque facturette de CB prendrait un temps dont la justice ne dispose pas plus que les avocats.

–         On peut aussi prendre chaque prévenu pour lui demander s’il a quelque chose à dire, tente la présidente dans une approche pragmatique de cet écueil procédural.

Maître Bonifassi a rejoint son confrère Maître Terquem dans la travée centrale pour lui glisser à l’oreille la réflexion des parties civiles qu’il résume à la Cour.

–         Même si l’avocat général soupçonne que les cartes bancaires aient pu faire l’objet d’utilisations personnelles, mais seulement quelques unes, bien sûr, commence Maître Terquem avec euphémisme, les parties civiles ne soulèveront pas cet aspect car on estime que le délit est surtout dans les indemnités forfaitaires, puisque justement ils étaient déjà remboursés de leurs frais et disposaient de ces cartes bancaires.

–         Les parties civiles indiquent ne pas remettre en cause le raisonnement du tribunal.. dicte la présidente à la greffière.

L'avocat Francis Pudlowski veut un procès clair pour ses clients. (photo © GPouzin)

L’avocat Francis Pudlowski veut un procès équitable pour ses clients. (photo © GPouzin)

–         J’ai deux observations, intervient Maître Francis Pudlowski. La première est que Jean-François Jean n’a pas été mis en examen, pourquoi ? Il n’est intervenu qu’en témoin assisté. La seconde, et je le plaiderai, c’est qu’on ne sait pas ce qui est reproché à chaque accusé.

–         C’est vrai qu’il figurait dans les rapports de l’Igas, observe la présidente.

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