Bourse ou immobilier, quel est le meilleur placement ? Quels sont leurs scores sur longue période ? Et comment se comparent leurs évolutions respectives ? Les réponses dans Libération, et cette interview TV de Deontofi sur Boursorama. (photo © GPouzin)

Epinglés par la Commission nationale des sanctions (CNS) pour défaut de vigilance anti-blanchiment, les agents immobiliers découvrent l’ampleur de leur responsabilité vis-à-vis des circuits de blanchiment d’argent sale. Un sujet à prendre au sérieux avec l’aide de Deontofi.com (photo © GPouzin)

Pourquoi les agents immobiliers sont-ils exposés au risque de blanchiment ? La commission nationale des sanctions (CNS) a épinglé près de 60 professionnels de l’immobilier pour manquements à leurs obligations de vigilance anti-blanchiment. Beaucoup semblaient encore ignorer les risques qu’ils encouraient, comment l’expliquer ? Comment aider les agents à identifier des clients qui pourraient présenter des risques ? Sur l’origine des fonds, comment l’agent doit-il procéder pour vérifier les données qu’il reçoit des clients ? En 2015, seules 29 déclarations de soupçons avaient été adressées par les professionnels de l’immobilier à Tracfin, en diminution par rapport aux années précédentes. Quels conseils donner aux agents immobiliers pour améliorer leurs procédures et dispositifs de vigilance anti-blanchiment ? Gilles Pouzin, journaliste fondateur de Deontofi.com, le premier site d’information dédié à la déontologie financière, a répondu à quelques questions pour une importante organisation dans le monde des agents immobiliers. Deontofi.com republie ces questions-réponses.

Comment les groupements et réseaux d’agents immobiliers doivent-ils agir pour sensibiliser et former leur personnel au risque de blanchiment ?
Pourquoi la lutte anti-blanchiment prend-elle de l’ampleur ? Le risque est-il accru ?
– Pour comprendre le risque de blanchiment, il faut expliquer l’enjeu et les circuits du blanchiment. Le blanchiment est la clé de toute l’économie souterraine et criminelle. En matière de vol, on comprend facilement que les cambrioleurs dépendent des receleurs pour écouler leur butin. De ce point de vue, le blanchiment a le même rôle qu’un super-recel pour toutes les activités illicites, en permettant à leurs auteurs de recycler l’argent reçu illégalement, qu’il provienne du vol et recel, de trafics ou détournements, ou d’activités non déclarées constituant des fraudes fiscales et sociales.
Si l’argent sale ne pouvait être blanchi, les personnes s’enrichissant illégalement ne pourraient pas réinvestir le produit de leurs activités illicites dans l’économie légale, ce qui réduirait fortement leur intérêt et leur potentiel de développement et de nuisance. Or, avec la mondialisation, les circuits de recyclage d’argent reçu illégalement se sont multipliés, facilitant le blanchiment.
Lutter contre le blanchiment est donc devenu une priorité des pouvoirs publics pour asphyxier les activités illicites. Cette préoccupation a été encore renforcée face à la menace du terrorisme, dont le financement repose aussi sur les trafics et le blanchiment.
Pourquoi les agents immobiliers sont-ils aussi exposés au risque de blanchiment ?
Une des méthodes pour blanchir l’argent d’origine illicite consiste à l’investir discrètement dans l’économie légale par des investissements et des opérations permettant de récupérer l’argent sans odeur à la sortie. Les activités financières sont les premières concernées, et la plupart des banques y sont confrontées comme en témoignent leurs condamnations un peu partout dans le monde. Le blanchiment ciblent aussi les bureaux de change, qui ont du renforcer leur vigilance.
Les blanchisseurs utilisent parfois d’autres martingales, comme les paris sportifs, loteries ou casinos, dans lesquels on peut perdre de l’argent illicite et ressortir avec des gains licites. Ou encore l’achat de biens de valeurs facilement revendables, comme les bijoux, pierres précieuses et métaux précieux.
L’immobilier fait partie de cette panoplie du blanchiment. Si des personnes réussissent à l’investir des capitaux illicites dans des biens immobiliers sans éveiller de soupçon sur la provenance des fonds, ils sont blanchis. Pour éviter que l’argent sale entre dans l’économie légale par ce biais, les agents immobiliers figurent sur la liste des professions soumises à une obligation spécifique de vigilance anti-blanchiment, prévue à l’article L561-2 du Code monétaire et financier, au même titre que les banques et compagnies d’assurances, les bureaux de change mais également les marchands d’art ou de pierres précieuses, parmi d’autres.
La commission nationale des sanctions (CNS) a épinglé près de 60 professionnels de l’immobilier. Ces derniers semblent encore ignorer les risques qu’ils encourent, comment l’expliquer ?
– Comme dans beaucoup d’activités commerciales, y compris la banque et l’assurance, le respect des règlementations est moins valorisé professionnellement et socialement que la conquête de clientèle et la conclusion de contrats. L’immobilier n’échappe pas à cette règle. Les agents immobiliers sont souvent en compétition sur tous les fronts, d’abord pour obtenir des mandats, ensuite pour trouver des acheteurs. Tant qu’il n’y avait pas de sanctions, les dirigeants de réseaux d’agence ne plaçaient par la vigilance anti-blanchiment en tête de leurs préoccupations. Et leurs collaborateurs étaient probablement peu ou pas sensibilisés à ce risque. Il faut se rappeler que les banques étaient aussi insouciantes vis-à-vis de leurs obligations de vigilance anti-blanchiment il y a vingt ans, avant le début de la première affaire du Sentier, en 1997. La mise en examen de plusieurs banques dans cette affaire, dont la Société générale et son patron Daniel Bouton, a été un déclic pour faire prendre conscience aux banquiers de l’importance de cette obligation de vigilance anti blanchiment.
Les agents doivent être vigilants quant à l’identification des clients qui pourraient présenter des risques. Comment faire pour les aider à distinguer les bons clients des clients à risques ?
– Pour exercer son devoir de vigilance anti blanchiment sérieusement, il faut faire preuve de méthode et de bon sens, mais aussi se préserver de tout préjugé. Rien ne serait pire et plus inefficace que de vouloir « flairer » le risque de blanchiment « à la tête du client ». Il ne faut pas partir du principe tous coupables ou tous innocents, mais simplement « être vigilant », c’est-à-dire effectuer un certain nombre de vérifications devant faire l’objet d’une procédure naturelle pour des transactions importantes. L’objectif étant de détecter les risques éventuels de blanchiment, ces vérifications doivent porter sur un ensemble d’éléments permettant de constituer un faisceau d’indices autour de trois questions simples. A qui ai-je affaire ? Quelle est la motivation économique ou patrimoniale de l’opération ? Et surtout d’où vient l’argent ?
Sur l’origine des fonds, comment l’agent doit-il procéder pour vérifier les données qu’il reçoit des clients ?
– La première étape est de mettre en place une formation sur les enjeux juridiques, mais aussi organisationnels et culturels de la lutte anti blanchiment, pour aider les agents immobiliers à mieux l’intégrer dans leur quotidien sans faire trop d’impairs. Dans l’exercice de son devoir de vigilance, l’agent immobilier est en effet investi de prérogatives l’autorisant légitimement à poser certaines questions à ses clients et prospects. Mais ces derniers peuvent trouver ces démarches un peu intrusives, comme beaucoup d’épargnants s’en plaignent d’ailleurs au sujet des demandes d’informations et questionnaires adressés par leur banque, quand ils sont rédigés ou présentés de façon maladroite. Sur le fond, il faut savoir quelles informations chercher, où et comment les vérifier. Sur la forme, tout l’art d’un dispositif anti blanchiment réussi est de l’intégrer le plus naturellement possible dans les procédures quotidiennes, avec une logistique permettant l’organisation et le traitement des données recueillies en phase avec l’objectif recherché.
Mettre fin à une relation d’affaires n’est pas toujours facile pour un agent. Quels conseils leur donner ?
– C’est une bonne question car elle illustre une confusion répandue, aboutissant à un contre-sens absolu au regard des obligations de lutte anti blanchiment. L’objectif de la lutte anti blanchiment est d’empêcher le recyclage d’argent sale dans l’économie légale. Sur ce point, tous les commerçants, qu’ils soient banquiers ou agents immobiliers, peuvent faire de la prévention, en dissuadant leurs clients d’effectuer des opérations de blanchiment par leur intermédiaire. Mais la vigilance anti blanchiment relève plus de la répression que de la prévention.
Dans cet esprit, il n’est absolument pas question qu’un agent immobilier ayant identifié un risque de blanchiment mette fin à une relation d’affaires, il doit seulement la déclarer et reporter l’opération envisagée de quelques jours dans l’attente de l’avis de Tracfin. Au contraire, la discrétion s’impose et il ne faut surtout pas alarmer les clients soupçonnés de blanchiment. Tout au plus, il lui est imposé par prudence de ne pas procéder à une transaction sur laquelle pèse un soupçon de blanchiment tant qu’il n’a pas déclaré ce soupçon, comme le précise l’article L561-16 du Code monétaire et financier, avec des aménagements s’il était impossible de suspendre l’opération sans mettre en péril l’investigation sur l’origine des fonds, par exemple.
Si un agent immobilier a des soupçons étayés par ses vérifications, il doit faire une déclaration de soupçon à l’organisme qui traque le blanchiment au sein du ministère des finances, Tracfin, dans le cadre prévu à l’article L561-15 du Code monétaire et financier, afin de dégager sa responsabilité. En revanche, il lui est formellement interdit d’informer qui que ce soit de cette déclaration de soupçon en dehors des autorités compétentes, comme le rappelle l’article L561-19 du Code monétaire et financier. Cette interdiction répond une double logique. D’abord le client soupçonné de blanchiment ne doit pas être prévenu qu’il est repéré, afin que les autorités puissent surveiller et démasquer son réseau efficacement. Ensuite il est important que ces déclarations soient couvertes par un secret professionnel renforcé, pour des raisons déontologiques comme pour l’efficacité de l’enquête.
Comment les groupements et les réseaux immobiliers doivent-ils agir pour sensibiliser et former leurs personnels au risque de blanchiment ?
– Mettre en place des procédures de vigilance anti blanchiment dans un milieu qui découvre à peine ce risque ne se fait pas du jour au lendemain. Pour que les procédures soient efficaces, elles doivent être adaptées à la taille et à l’organisation de chaque agence ou réseau d’agences. Mais encore faut-il que ces procédures soient utilisées de façon pertinente et à bon escient, sans négligence ni maladresses. Pour cela il faut développer une culture de vigilance et de lutte anti blanchiment afin que les individus y adhèrent et s’en approprient les principes et les outils. C’est un chantier important qui nécessite une réflexion globale. Il est nécessaire de prévoir des actions de sensibilisation et de formation, mais surtout qu’elles soient déployées et articulées avec les procédures et outils mis en place.
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