On sait peu de choses sur les performances réellement obtenues par les épargnants dans la gestion de leurs économies. Dans le cas du Forex, le marché des devises, et des CFD, qui sont de purs paris spéculatifs, le verdict est sans appel : ce ne sont pas des placements mais des machines à perdre sa chemise, comme le montre une récente étude de l’AMF.

Les risques élevés inhérents aux marchés financiers peuvent être démultipliés selon les qualités, la légalité et l'implantation réelle en France ou non des intermédiaires et officines proposant des services et prestations financières en tout genre. (photo © GPouzin)

Les risques élevés inhérents aux marchés financiers peuvent être démultipliés selon les qualités, la légalité et l’implantation réelle en France ou non des intermédiaires et officines proposant des services et prestations financières en tout genre. (photo © GPouzin)

On sait à peu près comment les Français répartissent leurs économies, grâce aux enquêtes de l’Insee (1). On a aussi des historiques de performances des grandes familles de placements (Bourse, Sicav, assurance vie, livrets ou immobilier…), voire de leurs sous-familles à des niveaux pointus (actions ou obligations, pays ou secteurs, SCPI ou FCPI…) mais on n’étudie pas suffisamment les comportements détaillés des épargnants pour savoir ce qu’il arrive vraiment à leur argent.

De ce point de vue, l’étude réalisée par l’Autorité des marchés financiers (AMF), et présentée à sa réunion du 13 octobre 2014, mérite une attention particulière, d’autant qu’elle porte sur le Forex (marché des devises, ou « foreign exchange ») et les CFD (contract for difference), des opérations hautement spéculatives dont Deontofi.com dénonce régulièrement les dangers.

Deux façons de perdre sur le Forex : chez de vrais courtiers ou par des escrocs

Car ces paris financiers sont effectivement des traquenards, comme le confirme l’étude de l’AMF : 89% des épargnants y perdent de l’argent, et pas qu’un peu ! Pour l’échantillon d’environ 15 000 clients dont l’AMF a observé 16 millions de transactions réalisées sur quatre ans, la perte globale atteint la somme vertigineuse de 161 millions d’euros, engloutis dans le gouffre sans fond du Forex et des CFD ! Attention, il s’agit exclusivement des pertes réalisées chez des intermédiaires agréés parfaitement légaux, qui s’ajoutent à celles causées aux épargnants par les centaines d’escrocs du Forex sévissant sur Internet.

« Notre étude ne porte pas sur les escrocs mais sur la partie des intermédiaires agréés et régulés, précise Yannick Guivant, qui présentait ces travaux réalisés au sein de la direction des marchés de l’AMF. Notre étude a porté sur des intermédiaires représentant 50% du marché des particuliers intervenant sur le forex et les CFD, sur une période étendue à 4 ans afin d’éviter les biais conjoncturels », explique-t-il en préambule. Une précision importante car, comme nous le reverrons et l’avons déjà expliqué sur Deontofi.com, il existe deux façons de perdre de l’argent sur le Forex : chez des intermédiaires légaux ou via des escrocs hors-la-loi. L’étude de l’AMF porte logiquement sur les clients d’intermédiaires agréés, puisqu’il n’y a aucune transaction réelle à étudier chez les escrocs qui plument leurs victimes crédules en leur faisant croire qu’elles ont fait de mauvais paris, alors qu’il s’agit de purs coups montés.

Il y a bien quinze ou vingt ans que le gendarme boursier n’avait pas ausculté si méticuleusement les comptes d’investisseurs individuels pour analyser leurs performances réelles. Voyons donc plus en détail ce bilan des vraies transactions sur le Forex. Combien perd-on en jouant au trader sur devises chez un vrai courtier en ligne ? Selon l’étude de l’AMF, les 14 799 clients observés ont perdu un total de 161,115 millions d’euros, soit une perte de 10 887 euros en moyenne par client. La perte médiane des clients du vrai Forex est plus modérée, à 1843 euros, c’est-à-dire que la moitié des clients ont perdu moins de 1843 euros et l’autre moitié plus de 1843 euros. Malheureusement, beaucoup de joueurs ont tendance à augmenter leur mise pour tenter de se refaire quand ils perdent, ce qui explique que la perte moyenne soit dix fois plus élevée que la médiane.

Jusqu’à combien peut-on perdre sur le Forex et les CFD ?

En réalité, les écarts sont encore plus extrêmes quand on regarde les comptes des centaines de très gros perdants par rapport à ceux des très rares gagnants. Au total, l’AMF a recensé 722 clients dont les pertes sur le Forex dépassaient 50 000 euros. Ces 722 malheureux devraient être interdits de casino et autres paris d’argent, qu’ils soient sportifs, hippiques ou boursiers ! Car au total, ils ont englouti près de 103 millions d’euros de leurs économies pour éponger leurs pertes abyssales sur le Forex et les CFD, soit 142 547 euros de perte chacun en moyenne. A l’autre extrémité, l’AMF n’a pas trouvé plus d’une centaine de parieurs ayant gagné plus de 24 000 euros, et leur gain total atteint à peine 10,4 millions d’euros, soit dix fois moins que les pertes des gros perdants. En gros, les chances de sortir gagnant du Forex sont inférieures aux probabilités de survie d’un soldat lors du débarquement en Normandie le 6 juin 1944 ! A qui le tour ?

Bien sûr, les marchands de rêves vous expliqueront que ça n’arrive qu’aux débutants et qu’on s’en sort mieux avec un peu d’expérience. Hé bien non, c’est l’inverse ! Avec le Forex et les CFD, plus on joue, plus on perd ! On pourrait effectivement penser qu’on apprend de ses erreurs. Mais l’étude de l’AMF montre que les particuliers les plus actifs sont ceux qui perdent le plus : « 52% des clients ont passé plus de 250 ordres et ont perdu 18 741 euros en moyenne », explique ainsi Yannick Guivant. Vous avez bien suivi : les clients du vrai Forex ont perdu environ 11 000 euros chacun en moyenne, mais ceux qui ont fait plus de 250 opérations ont perdu en moyenne près de 19 000 euros chacun. Et les pertes vont en empirant avec la quantité de transactions : 31 000 euros de perte moyenne pour les clients ayant passé plus de 1000 ordres et jusqu’à 75 400 euros en moyenne pour les joueurs ayant passé plus de 5000 ordres.

Est-ce que l’on s’améliore avec le temps ? Pas davantage. Au contraire ! Là aussi, les chiffres de l’AMF sont édifiants. Au bout d’un an, 82,5% des clients sont perdants et ce taux ne cesse d’augmenter pour ceux qui restent, même si leur nombre diminue au fur et à mesure que les plus raisonnables ou les plus ruinés jettent l’éponge : 85% sont perdants au bout de deux ans et 89,4% au bout de quatre ans. Evidemment, les pertes s’aggravent aussi avec le temps. « Ils perdent en moyenne 5000 euros la première année, et jusque 27000 en moyenne la quatrième », confirme Yannick Guivant.

Avec le Forex et les CFD, plus on joue, plus on perd !

La France n’est pas un cas isolé, car les études similaires arrivent aux mêmes conclusions dans d’autres pays, comme en Pologne où une étude a montré que 82% des clients du Forex avaient perdu leur mise en 2011. Et ce phénomène est intemporel. De mémoire, la COB (ancêtre de l’AMF) avait réalisé, dans les années 1990, une étude comparable sur les résultats obtenus par les particuliers intervenant sur le Monep (le marché des options négociables à Paris), des options qui s’apparentent davantage aux warrants popularisés depuis, c’est-à-dire avec un risque financier déjà bien moindre que ceux du Forex et des CFD. Or, les observations de la COB à l’époque montraient que la plupart des personnes perdaient rapidement l’essentiel de leur mise sur ce marché avant de renoncer à y intervenir.

On récapitule. Jouer sur le Forex et les CFD est un pari perdant. Plus on fait de paris, plus on perd. Plus on y passe d’années, plus on se fait plumer. Mais pourquoi au juste ? Parce que, contrairement à l’investissement boursier traditionnel, qui consiste à acheter des actions et les conserver longtemps pour engranger les dividendes et plus-values, les paris sur le Forex et les CFD ne sont pas des actifs. Ils ne rapportent rien du tout, pas un centime d’intérêts. Pour reprendre l’analogie, il y a autant de différence entre les parieurs hippique et les propriétaires de chevaux de course, qu’entre un joueur du Forex et le détenteur d’un portefeuille d’actions.

Et encore ! Les paris sportifs sont bien moins risqués que le Forex. « Sur les dérivés cotés, comme les warrants, il peut y avoir un effet de levier important, mais ils fonctionnent comme des tickets de loterie, on ne perd que sa mise; alors qu’avec les CFD et le Forex, on peut perdre beaucoup plus que sa mise», explique un expert de l’AMF. Cet « effet de levier », ou « effet de râteau », c’est-à-dire la possibilité de miser sur un montant démultiplié par rapport à l’argent que l’on investit réellement, est la principale raison des pertes sur le Forex.

En voulant se refaire, les joueurs du Forex augmentent leurs pertes !

Sur la parité euro-dollar, l’étude de l’AMF a permis d’observer que l’effet de levier varie entre 100 et 400 fois les montants réellement engagés par les apprentis-traders individuels. « C’est une caractéristique fondamentale qui fait que les positions sont souvent coupées quand elles sont perdantes. On observe aussi que les particuliers coupent plus rapidement leurs positions quand ils sont gagnants que perdants, explique Philippe Guillot, directeur à la division des marchés financiers de l’AMF qui a piloté l’étude. C’est un biais comportemental, on prend ses profits trop tôt et on laisse courir les pertes. » Une faille psychologique qui n’épargne pas les traders professionnels, de Nick Leeson (Barings 1995) à Jérôme Kerviel (SocGen 2008) en passant par leurs collègues moins célèbres.

Marielle Cohen-Branche, médiateur de l'Autorité des marchés financiers (AMF) traite avec succès les réclamations des épargnants lésés. (photo © GPouzin)

Marielle Cohen-Branche, médiateur de l’Autorité des marchés financiers (AMF) s’inquiète des dégâts causés par les promesses de gains illusoires du Forex. (photo © GPouzin)

Mais quel est l’effet de levier maximum autorisé en France ? Quel est l’effet multiplicateur maximum des pertes que peut subir un particulier par rapport à sa mise ? « Il n’y a pas de réglementation par la France dans ce domaine et pas de limite en droit européen, car il s’agit de contrats négociés de gré à gré, et non de produits financiers cotés sur un marché », précise Benoît de Juvigny, secrétaire général de l’AMF. On ne sait presque rien du profil des clients venus perdre leurs économies chez des intermédiaires agréés du marché des changes, sinon qu’ils ressemblent à ceux plumés par les escrocs du pseudo-Forex, souvent sans compétences financières. « Pour la médiation, que les sites soient agréés ou non, les profils sont identiques », explique ainsi Marielle Cohen-Branche, médiatrice de l’AMF.

Des courtiers peuvent ainsi être agréés tout en étant en infraction vis-à-vis de leur obligation de connaître leurs clients et de vérifier leurs compétences pour ne leur proposer que des produits adaptés à leur situation et leurs besoins, en vertu de l’article L533-13 du Code monétaire et financier (2). Dans le passé, des clients ont fait condamner leur intermédiaire en justice pour ne pas avoir bien évalué leur compréhension du risque de perdre plus que leur mise.

Attention, car pour espérer obtenir réparation d’un préjudice sur le Forex et les CFD, les épargnants ont intérêt à ce que leur intermédiaire soit domicilié et agréé en France directement par l’AMF, car nos gendarmes boursiers et nos tribunaux ont peu de prise sur les intermédiaires venus de pays européens à la réputation financière frelatée. L’AMF ne le dira pas, mais on pense bien sûr à Chypre ou Malte, sans oublier le « caillou » de Gibraltar, parmi d’autres destinations. « Beaucoup d’intermédiaires opérant dans le cadre d’une libre prestation de services sans succursale en France, nos moyens juridiques sont vite limités, admet Benoît de Juvigny. Nous avons lancé une action au sein de l’Esma [NDLR, l’autorité des marchés financiers européenne, European Securities & Markets Authority] pour qu’il y ait un contrôle plus rigoureux des régulateurs européens de ces prestataires. Mais la meilleure solution reste la prévention et la communication ». Une conviction partagée avec Deontofi.com.

Retrouvez ici l’étude de l’AMF sur les pertes des épargnants sur le Forex et les CFD chez des courtiers agréés.

Notes:
(1) : Les revenus et le patrimoine des ménages – Insee Références – Édition 2014

Les revenus et le patrimoine des ménages

(2) : Article L 533-13 du Code monétaire et financier : « les prestataires de services d’investissement s’enquièrent auprès de leurs clients, notamment potentiels, de leurs connaissances et de leur expérience en matière d’investissement, ainsi que de leur situation financière et de leurs objectifs, afin de pouvoir leur recommander les instruments financiers adaptés ou gérer leur portefeuille de manière adaptée à leur situation. »

Print Friendly, PDF & Email

6 commentaires

    • Gilles Pouzin, le

      Bonjour et merci cher lecteur pour cette précision. Vous avez raison, légalement le passeport européen n’autorise pas au démarchage sur des produits financiers à risque interdits de démarchage, comme les spéculations à effet de levier sur devises et autres options « binaires » sur l’or, matières premières ou autres. Malheureusement en pratique, les escrocs du Forex agissant avec un passeport européen se livrent à un démarchage éhonté que l’on doit plutôt qualifier de harponnage tournant souvent au harcèlement.
      Deontofi.com explique mieux la supercherie des sites de trading revendiquant le passeport européen ici : « Les sites de trading Forex interdits en France, et ceux qui devraient l’être ! »
      Soyez prudents !

  1. Torpedo, le

    Dans un autre style que le forex) j’aimerais savoir si quelqu’un connait le trading d’option binaire et en particulier le site que vante la pub :
    http://www.binarymathex.com/LP7.php?source=tasuite101-fr

    il s’appellerait optionweb.com

    La présentation laisse penser à une arnaque ( le robot de trading qui gagne tout seul !) 🙂 et je cherche donc à vérifier le sérieux de cette info-pub.

    J’ai cherché sur le site de l’Autorité des marchés s’il faisait partie de la liste des sites non autorisés

    http://www.amf-france.org/Actualites/Communiques-de-presse/AMF/annee_2014.html?docId=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%2F282f5a32-f922-498e-9176-c6531d8610a6

    Je n’ai pas trouvé ni optionweb.com ni binarymathex.com ils ne figurent pas. Dois-je conclure que ces sites sont sérieux ?
    Pourquoi l’AMF ne publie pas une liste des sites autorisés au lieu de publier une liste des sites non autorisés qui ne sert à rien à moins que tout site qui n’est pas sur la liste soit autorisé, ce qui n’a pas l’air d’être le cas automatiquement.
    Merci de la réponse.

    • Gilles Pouzin, le

      Merci pour ce signalement, il s’agit de sites dans la zone grise, c’est-à-dire pas interdit, mais pas aussi irréprochables qu’ils aimeraient le faire croire en revendiquant leurs agréments par l’AMF et autres références rassurantes. Lorsque ces sites de trading sont autorisés par une autorité boursière d’un autre état membre de l’Union, comme la CySEC chypriote, ils bénéficient du passeport européen permettant de démarcher légalement des victimes françaises. Vous avez 90% de chances de perdre vos économies à Chypre sans possibilité de recours en France.

Laisser un commentaire