Malgré les anomalies repérées et signalées en 2007 aux supérieurs de Jérôme Kerviel, la Société Générale se retranche derrière ses carences de contrôle. Retour à l’audience du 21 juin 2012.

Au siège de la Société générale, à La Défense (photo © GPouzin)

Au siège de la Société générale, à La Défense (photo © GPouzin)

Après avoir écouté poliment Daniel Bouton exposer sa version de la révélation des pertes frauduleuses, la présidente de la cour d’appel, Mireille Filippini, le ramène sur le sujet même du procès, c’est-à-dire la détermination des culpabilités, par une question ouverte :
– «Comment expliquez-vous que ça ait pu se passer comme ça ?»
– «Le mystère de la non-découverte ?», répond aussitôt Daniel Bouton d’un ton semi-affirmatif, comme pour s’assurer que cette version reste le socle incontestable de tout l’édifice pénal ayant permis d’inculper un seul homme.
– « Oui, poursuit la présidente. Pour replacer sa question dans un contexte plus équilibré que la charge de la banque contre son ancien salarié, elle lit un extrait de la sanction de la Commission bancaire du 3 juillet 2008 à l’encontre de la Société générale : « les carences des contrôles hiérarchiques, se sont poursuivies pendant l’année 2007, (…) cette persistance révèle des carences graves du système de contrôle interne dépassant la répétition de simples défaillances individuelles. (…) eu égard à la gravité des infractions, il est prononcé un blâme à l’encontre de la Société générale assorti de sanctions pécuniaires de 4 millions d’euros » (1)
– «Tout cela est exact, acquiesce Daniel Bouton, cela explique aussi pourquoi la Société Générale n’a pas fait appel de cette décision. »

Plus tard, lors de la même audience du 21 juin 2012, le procureur général, Dominique Gaillardot, interroge aussi timidement l’ancien président de la Société Générale :
– «En juin 2007, quand les pertes latentes de Kerviel dépassent 2 milliards d’euros, ça passe inaperçu ?»
– «Indépendamment des faiblesses du contrôle opérationnel à la Société Générale, le principe est plus compliqué, entame Daniel Bouton. Toute opération a deux jambes qui dans beaucoup de cas ne sont pas dans le même centre opérationnel et de contrôle… »
L’esquive ne convainc sans doute pas le procureur qui renonce néanmoins à une vraie réponse.
Pour Daniel Bouton, les défaillances de la Société Générale deviennent la preuve de son innocence, en justifiant qu’elle ait pu ne rien voir jusqu’au 18 janvier 2008, malgré les anomalies identifiées qui se multipliaient comme autant de signaux d’alerte depuis des mois.
Quand David Koubbi, l’avocat de Jérôme Kerviel, pointe à son tour l’invraisemblable scénario du fraudeur isolé auquel s’accroche l’ancien patron de la « Générale », ce dernier lui répond d’un revers ironique : «Je voudrais qu’il soit noté qu’un grand avocat reconnaît aujourd’hui que ce qu’a fait son client est incroyable.». Fougueux, l’avocat ne lâche pas prise :
– « Quand le système ne réagit pas aux 190 000 contrats futures, quand 11 milliards d’euros de transactions passent entre les mains de sept interlocuteurs dans quatre services, personne ne le voit ? Pourquoi personne ne réagit ?»
– «Il y avait une défaillance du système de contrôle, répète Daniel Bouton à plusieurs reprises. Il y avait une carence manifeste du système de contrôle, dit-il en reprenant les termes de la Commission bancaire. Pour que les 2 500 personnes du contrôle soient enfumées, il y a une défaillance.»
– «Vous parlez du mystère de la non-découverte, résume David Koubbi. Nous l’appelons la « non-découverte mystérieuse »

Le procès en appel de Jérôme Kerviel touche à sa fin. L’audience du 25 juin 2012 devait donner la parole aux avocats de la Société Générale et des autres parties civiles.
G.Pz.
(1) Lire p. 16 du Bulletin de la Commission bancaire (juillet 2008) : http://www.acp.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/acp/publications/Bulletin%20officiel%20du%20CECEI%20et%20CB/Bulletin-officiel-du-cecei-et-de-la-commission-bancaire-juillet-2008.pdf)

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